On connait les "bavures policières" aux Etats-Unis. On a vu avec des étincelles dans les yeux et la rage au ventre, à travers nos écrans, les émeutes à Chicago suite à la mort de Georges Floyd, un homme afro-américain tué par 3 policiers, suite à un plaquage ventral et une asphyxie. Là bas, il y a 7 fois plus de risques d’être tué par la police quand on est un homme noir non armé que lorsqu’on est un homme blanc non armé.
Black Lives Matter, Defund the police, ces mouvements qui prônent une réforme voir une abolition totale de la police sont beaucoup plus présents là-bas qu’en fRance, en raison d’une histoire construite par l’esclavagisme, d’où un racisme fortement ancré dans le pays. Pour la première fois un président des US, Joe Biden, nomme une évidence, le racisme systémique, et la nécessité d’agir contre.
Si en fRance, on ne vit pas la même ampleur de révoltes anti-police, le passé du pays a aussi des horreurs, de la colonisation aux massacres d’algériens, à la discrimation quotidienne dans les cités de banlieues. Des voix s’élèvent contre les violences et les tueries qui ont souvent lieu de façon cachée, avec un écho médiatique faible et un récit modifié de l’Etat. Le stéréotype de l’homme noir dangereux reste omniprésent, les mouvements identitaires gagnent en visibilité tout comme la stigmatisation des populations issues de l’immigration, et la police a bien intégré ces valeurs racistes.
Protégés par la légitime défense, les flics blessent, mutilent, tuent, en toute impunité. Ils sont systématiquement présumés innocents dans les affaires de meurtres en cours, ou obtiennent des non-lieux lorsqu’il y a des poursuites engagées contre eux.
marche des Mutilé-es pour l’exemple dimanche 9 avril 2023 à Toulouse
Autre constat, peu des personnes tuées par la police connait de médiatisation. Les gros-titres dans les journaux évoquent au mieux "une mort suspecte" ou "une bavure policière". Face à ces mensonges orchestrés il est plus que nécessaire de fournir un autre récit, de rétablir la vérité, et donc d’entendre les personnes concernées.
Le documentaire (dont on a piqué le titre pour cet article), "Violences policières, le combat des familles" de Inès Belgacem sorti en 2022 a ainsi été projeté dans le cadre de la quinzaine anti-répression du CAR38 à Grenoble, début mai 2023.
On y croise les portraits de plusieurs personnes proches des victimes tuées par la police, avec des témoignages qui nous donnent une claque et nous foutent les nerfs.
Des procès qui durent des années, parfois des décennies, des non-lieux systématiques pour les flics ; le deuil des familles est impossible. Seules demeurent pour elles, les blessures psychiques, le harcèlement de l’état, les plaintes et menaces policières.
Des discussions très riches ont émergé après la projection de ce film, en présence de plusieurs familles de victimes de meurtres policiers, et des victimes de mutilations, avec notamment des proches de Mohamed Benmouna , Babacar Gueye, Lamine Dieng, Idir Mederres, des membres du Réseau Vérité et justice, mais aussi Mélanie des mutilés pour l’exemple, Naguib Allama de l’association des victimes de crimes sécuritaires (AVCS).
Nous faisons part ici de notre retranscription, forcément partielle, de notes prises pendant ces discussions de plusieurs heures, c’est donc la parole des proches et de victimes qui est relayée, avec quelques ajouts et précisions de notre part. On y voit la force et le courage des victimes et des familles, mais aussi leur politisation, leurs combats acharnés contre des institutions intouchables, et le besoin de soutien. Parce que la parole des victimes et des proches de victimes n’est jamais assez relayée.
Une terreur créée par l’Etat
Les pouvoirs publics et politiques doivent se pencher sur ces problèmes de violences policières. Mais au lieu de ça, l’état légalise la légitime défense des flics. Ainsi nous avons une police toujours plus forte et dotée de plus en plus de moyens, grâce en partie aux lois sécuritaires du pays. En effet depuis 2020, la loi Sécurité globale par exemple, porte sur le renforcement des pouvoirs de la police municipale, l’accès aux images des caméras-piétons, la captation d’images par les drônes et la diffusion de l’image des policiers.
Depuis 2017, une loi permet aux flics de tirer lorsqu’il y a refus d’obtempérer. L’article L435-1 alinéa 4du code de la sécurité intérieure leur permet de tirer sur les occupants d’un véhicule "susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui". Un flou qui a fait multiplier par 5 les tirs mortels des policiers.
Avant, le policier était soumis comme tout citoyen au régime de la légitime défense défini par le code pénal : il ne pouvait riposter que de façon "simultanée et proportionnée" à une attaque "actuelle et réelle" contre lui ou autrui. Depuis cette loi, tout peut être considéré comme étant une arme par destination ; si les flics estiment être en danger, ils peuvent se défendre et tuer. Cette loi justifie toujours plus les meurtres d’état.
Discussion avec sa soeur, Aurélie Garand autour de son livre "Depuis qu’ils nous ont fait ça"
Portrait de Streetpress
Il y a aussi l’article L211 du code de la sécurité intérieure qui parle des manifs, des émeutes et du climat insurrectionnel : la légitime défense prévaut et les flics ont le droit de tirer des grenades en cloche. Et de toute façon les flics sont acquittés plus facilement.
Tout cet arsenal de lois permet de passerdes méthodes répandues dans la police de plaquage/étouffement(qui tuent en nombre alors que de nombreux pays les interdisent contrairement à la france), à tuer par arme.
La France estle pays d’Europe avec la police la plus armée.. Elle est la seule à utiliser des grenades explosives, et celle qui utilise le plus les LBD. Les techniques et doctrines policières françaises sont exportées à l’étranger lors de soulèvement des peuples ou pour les dictatures.
On aurait besoin de grosses orgas légalistes pour aider à bloquer le salon de l’armement par exemple, comme la LDH (ligue des droits de l’homme) ou Attac. La LDH se vante de mettre en place des choses, comme de se battre pour rendre visible l’identification des flics en portant leur RIO. Mais même une fois qu’on a identifié les flics par ce badge, ils sont relaxés.
"Nous ce qu’on veut c’est désarmer la police, pas voir le RIO des policiers ou faire une pétition pour dissoudre la Bac."
On est dans un pays où le racisme est systémique depuis des siècles comme peut l’être aussi la culture de l’inceste et du viol. Tout ça est à déconstruire. On parle d’homicide et jamais de meurtre raciste. La loi dite Pleven de 72 n’est jamais appliquée par les juges.
Cette loi crée un délit nouveau de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence. Ce dernier peut être puni d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 2000 à 300 000 francs. Elle ne se limite pas à la diffamation et à l’incitation à la haine mais punit aussi les discriminations raciales dans les domaines du travail ou du logement, tout comme les injures. Elle permet encore de dissoudre des groupes incitant à la haine raciale.
Lors des enquêtes suite à des personnes mortes en prison, les dossiers des surveillants pénitentiaires ne respectent pas les procédures. On nous dit "y a une enquête en cours" sans jamais y avoir accès. Les médecins légistes sont complices, les dossiers d’autopsie sont baclés.
La France est condamnée à l’étranger. L’ONU condamne tout le temps les violences, mais la France préfère payer que de changer ses pratiques (exemple : le plaquage ventral ou le pied sur la tête ; des pratiques qui après un meurtre ne sont plus interdites).
Le regard à l’étranger compte, l’image de la fRance est désastreuse, mais ça reste sans grande conséquence.
Penser le soin
Quand une famille est victime, l’état les condamne à vivre avec une souffrance toute leur vie.
A chaque fois qu’un jeune meurt, on revit la journée de notre propre frère ou fils. En tant que victime on a besoin de l’accès à des soins psy, également pour les familles. Mais les assos ne répondent pas, alors que nous on veut travailler ensemble, on n’est pas fermé. On parle de gens qui ont vécu la violence dans leur chair.
Quand il y a une procédure normale, une cellule psychologique est mise en place. Quand on est victime de violences policières, on n’a rien du tout, c’est à nous, les familles, de nous organiser. Ca coûte cher. On essaye de bosser autour de soin communautaire, grâce aux familles, à l’éduc pop’. C’est important de se réunir entre femmes, pour être soudées.
Un soignant m’a déjà dit : "Quand on veut pas se faire frapper on va pas en manif".
L’expertise psy est une arme de l’état, on doit trouver des soignants militants pour nous aider à contourner ce système, savoir comment répondre aux questions qui se retournent toujours contre nous.
Mon frère Lamine Dieng est l’une des nombreuses victimes de violences policières, ayant conduit à sa mort prématurée le 17 juin 2007. Il était seul, non armé et ne menaçait la vie de personne. Pour moi la vérité c’est ce que la police scientifique a révélé : Lamine est mort d’une asphyxie mécanique par suffocation due à l’appui facial contre le sol avec pression du sommet du crâne. De compression crânienne et compression thoracique prolongées : il était allongé face contre terre pendant les trente minutes de son arrestation, avec cinq policiers agenouillés sur lui. Cette technique a été utilisée en 2016 par les gendarmes sur Adama Traoré. Ils l’appellent "contrôle dorsal costal" ou encore "décubitus ventral". (...) Le juge a nié les éléments scientifiques et prononcé un non-lieu après sept ans d’instruction, en juin 2014. Nous la famille avons fait appel de cette décision aurpès de la chambre de l’instruction à Paris, qui a confirmé le non-lieu en juin 2015. Nous avons encore fait appel et nous sommes allés en pourvoi devant la Cour de cassation qui instruit l’affaire depuis.
Les difficultés de trouver un.e bon.ne avocat.e
Il y a des avocats qui se créent une notoriété et se font de la pub sur le dos des victimes en prenant des dossiers. Par exemple, Arié Alimi qui vient chercher des dossiers. Il a gagné 0 affaire... C’est un avocat médiatique. Dans la cour les juges le détestent et le déstabilisent, lui est décomposé face à eux ; alors qu’il y a des infos qui sortent dans les médias pour dire que tel flic était un néonazi, il ne s’en sert même pas. Il ne fait pas son taf, qui est de prendre en compte les preuves des victimes.
Défendre des familles de victimes est devenu un business.. ça donne un statut social. Alors qu’en fait le cabinet Alimi est spécialisé dans le recouvrement immobilier, et c’est grâce à ça qu’ils se font de l’argent, par des contrats pour des bourgeois à plusieurs millions d’euros.
Un autre exemple est l’avocat Yassine Bouzrou, qui se vante de défendre des familles de victimes tuées par la police, mais il défend aussi... des policiers. Et qui écrit un livre ou joue dans un film (le mauvais film Athena de Romain gavras, au scénario caricatural et raciste).
C’est compliqué de trouver un bon avocat. Aujourd’hui il y a pas d’autre moyen que faire soi-même les enquêtes car l’avocat ne fait pas ce taf. - Un avocat m’a dit : "Vous êtes là pour m’écouter", c’est lui qui a mené le dossier qui a abouti à un non-lieu... - Un avocat m’a dit "votre fils l’a bien cherché"
La plupart des victimes ou des familles de victimes en sont à leur 4 ou 5e avocat... Des fois y a quelques avocats, souvent des femmes jeunes, qui te respectent et t’écoutent.
Une des seules affaires gagnées à ce jour concernant des policiers condamnés à de la prison, c’est celle d’Amadou koumé, tué en 2015 à la gare du nord, après 7 ans de procédure.
"La justice est pas faite pour nous, c’est de la merde. Même les locaux c’est pas pour nous, c’est de la vraie violence. Dans une salle d’un tribunal y avait une scène d’esclavagisme en peinture, c’est du cinéma, c’est fait pour te mettre dans une position inférieure, les juges eux sont dans des robes, tout le monde est en hauteur, on se sent mal."
Quand une famille gagne (ce qui est rare), les lois vont être modifiées pour rendre légal ce pour quoi le flic a été jugé. L’Etat s’adapte constamment pour protéger toujours plus la police.
"Un avocat du civil m’a dit "ça serait bien d’oublier et de pardonner". Je paye et continue de m’endetter et au final j’ai rien. Il m’a dit qu’il fallait passer en cour de cassation pour passer à la cour européenne des droit des hommes. Il me dit "Faut me faire confiance" quand j’ai donné 5000euros.
Selon un diction "l’avocat est un menteur, l’huissier un voleur"
La criminalisation des victimes
Les médias participent à la criminalisation des victimes : on parle de rodéos, de squat, on dit qu’ils étaient sous drogues dures alors que c’est pas vrai ; on crée une histoire pour dire que c’est normal que les flics agissent comme ça. Ils construisent une image pour dire qu’on l’a bien mérité. Ou on va criminaliser la famille ; les frères sont des voyous, ou encore faire des menaces sur les familles en GAV, faire des lettres anonymes, faire des ventes aux enchères des affaires du mort lors du crime.... Tout ça pour banaliser les violences des flics. Les flics contrôlent aussi les frères et soeurs, y a une vraie violence psychologique.
Des familles ont peur. On n’a pas eu le droit d’accéder au dossier. Des fils ont peur de prendre la parole. On a des pressions. Finalement on est venu a un rassemblement contre les violences en prison, c’était pas facile. la justice, elle, parle de suicide en prison.
Les actions des collectifs et l’importance du soutien
La question de la dissociation entre militant.es blanc.hes et personnes issues de quartiers populaires est évoquée. Pourquoi les militant.es blanc.hes ne sont pas très présent.es, ne rejoignent pas nos luttes antiracistes ?
Il faut s’éduquer, savoir que la répression commence effectivement dans les quartiers, envers les personnes racisées. Mais on est toustes ensemble, que ce soit dans les manifs, les mouvements sociaux, Sainte-Soline, etc.
"La lutte va au-delà des blessé.es tué.es. Ce qu’on veut, c’est que ça n’arrive plus, il faut faire de la prévention, on a un intérêt commun."
Il faut faire du lien avec les familles, le soutien est important et il y a plein de plans sur lesquels on peut aider.
"C’est compliqué de faire des actions avec des personnes traumatisées par la police, c’est dur, c’est se faire violence."
Faire des dossiers, ça prend une énergie énorme à chaque famille. Celles-ci s’organisent en se rejoignant, en discutant entre elles, elles portent des marches commémoratives. Il y a déjà eu une action contre une manif du syndicat policier Alliance, ou encore le collectif Urgence la police assassine, mené par Amal Bentounsi , soeur de Amine, tué d’une balle dans le dos en 2012 par des policiers, qui avait organisé une action devant le palais de justice, en déversant du faux sang.
Pour aider, on peut participer aux marches et manifs, on peut aller soutenir les familles dans les tribunaux, pour écrire des textes, ou encore ouvrir des cagnottes.
Il y a une envie de faire un réseau européen pour comparer ce qui se passe en fRance avec les autres pays ; par exemple en Grande bretagne, il y a eu 2000 morts entre 1973 et 2020, avec un seul procès de flic.
On peut aussi faire du lien, parler aux familles, organiser des soirées d’événements, des projections, faire de l’aide juridique, récolter de l’argent, ou encore rejoindre le réseau d’entraide vérité et justice !
Calendrier
- 18 mars : marche portée par le collectif Vies volées.
- 28 mai : manif contre les violences penitentières
- 17 juin : marche pour Lamine dieng à Paris
Quelques liens
- Dossier de la Revue Z - Vénissieux sur les violences policières
brochure "Ceci n’est pas une bavure"/ dossier complet
Nous avions publié en avril un autre article sur les violences policières, avec une liste de films à voir sur le sujet :
Compléments d'info à l'article