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PATRIARCantAT vs Sorcières Grenobloises

PATRIARCantAT vs Sorcières Grenobloises

Retour sur deux belles soirées électriques
Les 13 et 14 mars dernier, nous avons appelé à des rassemblements devant les concerts de Bertrand Cantat à la Belle Electrique (Grenoble) pour dénoncer sa présence indécente sur scène et la banalisation des violences faites aux femmes.
Le premier soir, nous étions une bonne centaine de personnes de tous horizons réunies sur l’esplanade devant la salle pendant plus de trois heures.
Beaucoup étaient venues avec des pancartes aux slogans explicites et tou-te-s avec détermination.
Depuis 17h30, nous buvions du thé et mangions des gâteaux confectionnés pour l’occasion, distribuions notre tract de 4 pages au public qui arrivait au compte-gouttes, commencions à scander des slogans au rythme de la batucada…
A 18h30, Bertrand Cantat est sorti de la salle et s’est dirigé vers nous, vite rejoint par les vigiles de la salle.
Que raconter de ce moment : La façon dont il a attrapé la tête d’une manifestante pour l’embrasser ? Comment il nous a toisé avec mépris, sans dire un mot, refusant de prendre le tract qu’on lui tendait ? La bousculade qui s’en est suivie ?
Il nous semble inutile de revenir plus en détail là-dessus. Pour nous, il est plus important d’expliquer comment son acte était clairement calculé, de la provocation, une démonstration de force, une façon de montrer qu’il avait le droit d’être partout tout le temps et même d’embrasser contre leur consentement des femmes qu’il dégoûte.
Pour nous il a délibérément cherché la confrontation, et non le dialogue comme il le prétend. Créant une occasion de renverser les rôles encore une fois et de se montrer en victime. Peut-être a-t-il d’ailleurs été déçu de notre réaction, finalement pas si violente que ça, contrairement à ce qu’il déclare sur les réseaux sociaux dans un message qu’il balance quelques minutes après son action. On peut d’ailleurs se demander si la véritable motivation de sa sortie n’était pas de créer l’occasion d’envoyer un tel message...
« Des insultes » ? Oui, il s’est fait traiter d’ « assassin », ce qui semble plutôt adéquat à sa personne. Peut-être peut-on se lancer dans un débat juridique où on pourrait arguer qu’il n’a pas tué avec préméditation et ne serait donc qu’un « meurtrier », ça ne change pas grand-chose...
« Une pluie de coups » ? Oui, quelqu’une l’a tapé une fois sur la tête avec une pancarte en carton. Comme a commenté un internaute sur la page facebook de Bertrand Cantat « si Marie Trintignant avait reçu une pluie de coups comme ça, elle ne serait pas morte ». C’est vrai que Bertrand Cantat est très bien placé pour donner des leçons sur ce qu’est la violence et son usage. On l’en remercie, mais non merci !
Et nous serions « sourds et aveuglés par la haine » ? Sourd.e.s et aveugles à quoi ? Il ne nous a rien dit et il était difficile de ne pas voir son sourire narquois. Et non, aucun sentiment aussi envahissant que la haine n’existe en nous envers Cantat. Juste de la colère contre lui et les violences faites aux femmes en général, et l’énergie donnée par la solidarité dans un combat légitime.
« Le retour au moyen-âge » ? Et bien nous sommes fières d’être des sorcières ! Comme elles, nous voulons être des femmes libres et rejetons le cadre patriarcal que l’on tente de nous imposer.
Bertrand Cantat avait annoncé la veille l’annulation de ses concerts de l’été, il devait sentir le besoin de reprendre les choses en main, de tourner les événements en sa faveur. Il a voulu faire le coq mais nous y voyons surtout le chant du cygne d’une carrière qu’il sait être sur sa fin.
Avons-nous bien fait de répondre à la provocation, et ainsi tomber dans ce qui ressemble beaucoup à un piège tendu par Cantat ? Nous pensons que nous ne pouvions que réagir et c’est aussi une partie intégrante de notre message : Face aux violences faites aux femmes, on ne laissera plus rien passer ! 
Nous souhaitions revenir sur cet épisode car il a fait le « buzz », et comme souvent, de nombreux média ont utilisé les propos du chanteur comme une description objective des faits qu’ils pouvaient relayer sans aucune remise en question.
Mais ce que nous retenons de ce rassemblement c’est la belle énergie, la détermination, les échanges avec les spectateur-ices parfois tranquilles, parfois plus mouvementés (surtout quand un membre du public est allé frapper un camarade), toujours sans concession (une femme a décidé de ne finalement pas aller au concert par désaveu du chanteur), les slogans qui faisaient mouche, dont certains créés sur le moment. C’était fort.
Nous n’avions appelé qu’à ce premier rassemblement, n’étant pas sûres d’avoir l’énergie d’en porter un deuxième et assez incertaines de comment les choses allaient se passer.
Pendant la soirée, de nombreuses personnes enthousiastes ont dit qu’elles souhaitaient revenir le lendemain alors nous avons lancé un deuxième appel pour le deuxième concert.
Rebelote le mercredi soir donc ! Un rassemblement à partir de 19h avec un peu moins de monde mais toujours de l’énergie et … énormément de médias.

Encore quelques arguments à démonter
Depuis que nous, et d’autres, avons commencé à interpeller sur l’indécence de la présence de Bertrand Cantat sur scène, nous avons pu voir les opinions changer, les discours évoluer, dépasser les premiers arguments qui nous étaient opposés, répétés en boucle par certain.e.s et relayés par les média.
Nous revenions sur plusieurs d’entre eux dans notre texte d’appel au rassemblement, et nous souhaitons ici parler de deux autres, utilisés par Cantat lui-même, certain.e.s de ses fans et des journalistes.

Séparer « l’artiste » de « l’homme » ?
Comment extrait-on l’ « artiste » de l’ « homme » ? Pour nous c’est assez mystérieux. Cette ablation requiert-elle une intervention chirurgicale ?
Et après comment ça se passe ? L’identité « artiste » a-t-elle son propre compte en banque ? Du coup aller voir « Bertrand Cantat l’artiste », n’aurait aucune conséquence sur les finances de « Bertrand Cantat l’homme », sur le pouvoir qu’il tire de sa notoriété ?
Les mains de l’artiste qui signent des autographes, jouent de la guitare, tiennent le micro, ne sont-elles pas les même que celles qui ont frappé Marie Trintignant (et combien d’autres ?) ?
Ça demande quand même une belle gymnastique mentale pour pouvoir envisager les choses comme ça, et clairement, la souplesse nous manque.
Cela ressemble plutôt à des excuses pour pouvoir continuer à s’accrocher à une image d’Épinal qui cache un culte de la personnalité mal digéré et une nostalgie pour des fantasmes adolescents qui ne résistent pas à l’épreuve de la réalité.
Et oui cet artiste est un salaud et quand l’artiste monte sur scène et qu’il est applaudi, c’est bien un salaud qui est acclamé et cautionné.

« Liberté d’expression » et « censure » ?
Il nous semble important de revenir sur le sens exact de ces termes et ainsi de montrer comme leur utilisation est galvaudée.
La liberté d’expression, est définie dans l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’ « Homme » :
Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.
C’est clairement dit, cette liberté concerne le droit d’exprimer des opinions. Ce qui est problématique avec Cantat ce ne sont pas ses opinions, ni le fait qu’il les exprime. Nous ne cherchons pas à faire taire une voix dans un « débat d’idées ».
La censure est également un concept lié à l’expression d’opinions. C’est un procédé qui vient d’en haut, de personnes ou d’organismes de pouvoir, souvent pour effacer les opinions qui mettent en danger l’ordre établi.
Un avocat célèbre va même jusqu’à parler de « maccarthysme » au sujet de Cantat.
Pendant cette époque sombre de l’histoire états-unienne c’était bien l’État qui convoquait des personnes dont le seul crime était d’être communiste, ou simplement soupçonnées de l’être, puis les renvoyait de leur emploi, les mettait sur liste noire, rendant leur vie professionnelle (voire leur vie tout court) impossible, les poussant à l’exil, voire les emprisonnait.
L’État qui utilise sa force de répression, contre la liberté d’expression et d’opinion, de la persécution politique, oui c’était bien ça le « maccarthysme ».
Ça ne ressemble en rien à ce qui arrive à Bertrand Cantat en ce moment.
Dans son cas, nos voix qui s’élèvent sont des voix de la société civile, les voix d’un contre-pouvoir. Des voix qui expriment un ras-le-bol et portent un combat basé sur l’éthique, la dignité, et le désir de mettre fin aux injustices sociales dont les violences faites aux femmes font partie.
Ce sont les voix des femmes qui disent non à la banalisation de ces violences que nombre d’entre nous et de nos proches subissent ou ont subi, et de leurs alliés.
Des voix que notre société, sourde à la souffrance, toute occupée à flatter son image, peine à entendre. Et s’évertue à faire taire. Dans les conversations, dans les médias, dans les commissariats, les tribunaux, les ministères, les conférences et les colloques, dans toutes les couches sociales, au boulot, à la maison, au café, dans la rue... chut... Des voix qui souvent n’osent pas, qui chuchotent, qui insinuent, à demi mot. Des mots qui restent dans la gorge, coincés par la honte, la peur, l’incompréhension et l’indifférence ambiantes. Mais des voix fortes dans la sororité, intarissables et qui n’en finissent pas de se libérer.
Qui s’étonne qu’on crie, qu’on hurle ?!

Et maintenant ?
La nouvelle tentative de retour au devant de la scène de Bertrand Cantat est un échec. Nous n’avons nul doute que cette tournée restera sa dernière. Il est en train de tomber de son piédestal, accélérons sa chute.
Nous avons eu énormément de retours de personnes partout en France, et même ailleurs, qui nous disent que ces rassemblements les ont inspirées et qu’elles veulent s’organiser pour faire de même dans leur ville.
Comme nous le chantions à Cantat devant la salle de son concert :
« Partout où t’iras, des féministes s’ront là.
Et elles diront NON au PATRIARCantAT ! »

Çà a l’air bien parti.
Nous espérons que par ce mouvement de contestation, le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes et le féminisme en général vont continuer à se renforcer car après Bertrand Cantat la lutte ne sera pas terminée.
Tant que ce système patriarcal sera là et permettra, cautionnera et même encouragera les violences contre les femmes, les lesbiennes et les trans, nous serons là, toujours plus nombreuses et plus déterminées.
Pour que la peur change de camp !

Notre colère ne tue pas, elle libère.

Signé : Les Sorcières en Colère de Grenoble !

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