L’article qui suit est une version modifiée de celui initialement publié le 24 mai. En effet, la première version contenait des formulations issues du discours dominant raciste et islamophobe dont nous regrettons l’usage. Nous tenons à nous excuser auprès des personnes qui ont été blessées par celles-ci. Nous remercions également les personnes qui nous ont fait des retours sur notre article afin que nous puissions aujourd’hui en proposer une version modifiée.
Quelques éléments sur les alliances en cours au sein de l’extrême-droite grenobloise.
Depuis quelques années s’observent à l’échelle locale comme au niveau national des alliances improbables au sein de l’extrême-droite. Nous proposons ici de partager nos observation et une ébauche d’analyse de ces rapprochements, en nous intéressant plus particulièrement à ceux s’opérant entre Egalité et Réconciliation et Civitas.
Alain Soral à Grenoble : Egalité et Réconciliation Isère frappe un grand coup
Le 23 mars 2019 la section iséroise d’Egalité et Réconciliation (E&R) organisait une conférence intitulée « Brexit, Trump, Gilets jaunes : aujourd’hui la révolte des nations ? » animée par Alain Soral et Youssef Hindi (auteur se revendiquant historien et proche d’E&R, seule organisation française à le diffuser).
La conférence qui devait initialement se tenir à Grenoble a finalement eu lieu à Seyssins sur un terrain privé situé en contrebas de la clinique du Dauphiné. De l’aveu même de Soral cette conférence a été déplacée à l’extérieur de Grenoble suite aux pressions exercées par « un avocat de la LICRA tunisien », « les antifas luttant contre l’invasion fasciste » et « un adjoint au maire ». Ce dernier, Emmanuel Carroz, ayant par la suite subit des menaces directes (1).
En vérité Soral et son organisation ont surtout voulu se protéger pour éviter que l’événement soit attaqué comme cela a pu être le cas à plusieurs reprises dans d’autres villes (2).
Une fois encore il était difficile de savoir où se tiendrait la conférence. E&R ont opté pour un classique : il fallait tout d’abord s’inscrire par mail avec nom, prénom et numéro de téléphone pour ensuite recevoir par texto quelques heures avant la conférence les modalités pour s’y rendre. Cela dit, même les journalistes du Dauphiné Libéré y sont parvenus.
Pas rassurés pour autant, E&R avait mis en place le 23 mars un service de sécurité maison constitué d’une trentaine de militants dont le rôle consistait à se poster au bord de la route de Saint-Nizier sur environ 2 kilomètres. Cela permettait à la fois aux organisateurs de jeter un œil sur la route et de guider les participants jusqu’au terrain, accessible uniquement à pied par une petite impasse montante.
Alain Soral : gourou, leader politique et chef d’entreprise
Alain Soral, né en 1958, est un ancien adhérent du PCF (dans les années 90) et du FN (membre du bureau politique en 2009). Il a fondé en 2007 sa propre organisation (Égalité et Réconciliation) dont la devise est « gauche du travail, droite des valeurs ».
Ces dernières années Alain Soral a été plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale, diffamation, injures racistes ou pour apologie de crimes de guerre et contre l’humanité. Un tribunal parisien l’a encore condamné en avril 2019 à 1 an de prison ferme avec mandat d’arrêt. Ironie du sort, celui qui se veut « anti-système » se trouve défendu par le Parquet de Paris qui a lui-même fait appel de cette condamnation.
Alain Soral énonce depuis le début des années 2000 un discours à la fois raciste, antisémite, négationniste, complotiste, sexiste et homophobe. Au-delà de ses nombreuses vidéos sur internet qui comptabilisent des centaines de milliers de vues, Soral est l’auteur de nombreux livres dont le plus vendu demeure Comprendre l’Empire (100000 exemplaires). Il est également à la tête d’une maison d’édition, Kontre Kulture, qui met en vente sur internet des « œuvres » de Charles Maurras, Serge Ayoub ou encore Adolf Hitler, outre ses propres livres. On trouve également sur le site de l’organisation des ouvrages d’auteurs références de la gauche et de l’extrême-gauche comme Bakounine ou Proudhon. Soral est également célèbre auprès du grand public pour son amitié avec l’humoriste et polémiste Dieudonné.
Les thèmes de prédilection de Soral sont l’antisémitisme virulent, la sexualité, la virilité et les théories du complot. Ces thèmes sont évidemment repris par son mouvement Égalité et Réconciliation, grâce à un usage intensif d’Internet. L’analyse du discours de Soral montre qu’il s’inscrit dans la tradition antisémite d’extrême-droite, notamment national-socialiste (le complotisme, l’obsession de la perversité sexuelle des juifs, l’antisémitisme et le négationnisme, l’éloge de la violence et de la virilité, etc.).
Soral prône la « réconciliation » (sous-entendue réconciliation nationale) comme moyen de lutter contre "le complot juif", "le lobby LGBT", "les féministes", etc qui sont accusés de dominer le monde ou de conduire à sa perversion.
A travers les références qu’il utilise et les analyses qu’il diffuse, Soral se qualifie lui-même "d’anti-système" ce qui le rend d’autant plus difficile à combattre. En effet, en usant de cette stratégie démagogique (discours "anti-système", utilisation d’internet et des réseaux sociaux) il cherche à s’adresser à la jeunesse précaire et ouvrier.ères, souvent isolée et issue des zones rurales et/ou des quartiers populaires. (3)
Toutefois, on retrouve dans la rhétorique soralienne un grand nombre de thèses contre-révolutionnaires. Soral s’inspire en effet largement de l’antisémitisme du début du XXe siècle, du complotisme et de l’antimaçonisme (Drumont, Maurras, etc.), ce qui le rapproche des idées d’origine de l’Action Française (organisation royaliste maurrassienne) et le situe dans le courant idéologique nationaliste révolutionnaire.
On retrouve donc plutôt "la droite des valeurs" que "la gauche du travail" dans les thèses défendues par Soral.
D’autant plus qu’à ce confusionisme, il faut désormais ajouter des références catholiques assez particulières. Dans l’interview donnée suite à sa conférence dans les montagnes grenobloises (sur la chaine youtube « Culture Populaire »), Soral déclare : « il apparaît aujourd’hui que la bannière derrière laquelle on pourrait tous marcher en tant que gilet jaune ou que peuple en colère en voie d’insoumission finalement c’est le Christ » car « le plus saint, le plus unificateur et le plus subversif serait de revenir au Christ gilet jaune ». Soral parle maintenant de « réconciliation nationale par le Christ ».
Ces références catholiques rendent désormais possible des liens qui semblaient peu probables entre E&R et Civitas.
Civitas à Grenoble et en Isère
Civitas (4) est une organisation politique catholique traditionaliste qui se présente (ou du moins essaie de se présenter) à des élections depuis 2016. Adeptes du national-catholicisme, les membres de Civitas se revendiquent anti-mondialistes et sont violemment opposés aux droit à l’avortement et au mariage pour tous. C’est la branche politique des Capucins de Morgon et de la fraternité Saint Pie-X, deux branches intégristes de l’Église catholique (La Franternité Saint Pie-X est très bien représentée dans l’agglo par le prieuré de Meylan qui comprend une école maternelle (5). En Rhône-Alpes, Civitas est dirigée par Alexandre Gabriac, 29 ans, ancien du Front national, adepte du coup de poing et du bras tendu. Civitas s’est fait connaître localement par sa participation aux élections législatives 2017. Le 20 mai 2017, Civitas organisait un meeting de campagne à Saint-Martin-d’Hères (le même jour que celui du FN Louis Alliot à Grenoble). Dans la nuit, des individus en moto attaquaient le bidonville Valmy en moto. Deux jours plus tard, des cocktails molotovs étaient jetés sur ce même bidonville, ce qui permit à la préfecture (avec le silence complice de la mairie de Grenoble) d’expulser les habitants sous le prétexte de « trouble à l’ordre public ». Le 3 juin de cette même année, Civitas s’illustrait encore par sa banderole lors de la Marche des fiertés.
Civitas le 3 juin 2017 : Sinisi à gauche, Gabriac au centre et Barge à droite.
Convergences entre Egalité et Réconciliation et Civitas
La conférence du 23 mars n’est pas une première dans l’agglomération grenobloise. La section iséroise d’E&R a pour habitude d’organiser des événements dans l’agglomération. Jusqu’à maintenant il s’agissait d’événements mineurs bénéficiant de peu de communication.
Le 9 février 2019 E&R organisait une conférence avec Civitas à propos de la théorie de l’évolution. Cette conférence se tenait à Fontaine, au bar-tabac le Fontaine 4 place Henri Chapays, dont le nom du propriétaire, Stéphane Janon, apparaissait sur la liste Front National aux dernières élections municipales.
Les convergences E&R-Civitas à Grenoble datent de plusieurs années. Rappelons « l’affaire Sinisi » : Franck Sinisi, élu municipal de Fontaine (d’abord sous l’étiquette FN puis Civitas depuis son exclusion du FN le 18 juillet 2017) avait en effet proposé « d’arracher les dents en or des Roms » pour financer leurs hébergements. S’en était suivi une forte mobilisation des militant.es et habitant.es de Fontaine lors des conseils municipaux. Les militants de Civitas s’étaient déplacés pour soutenir Sinisi lors de ces conseils, parmi lesquels on trouvait Alexandre Gabriac (6) lui aussi ancien du FN, actuellement n°2 de Civitas et Thibault Barge, candidat Civitas sur la 9ème circonscription de l’Isère lors des dernières législatives.
Suite à ses propos, Sinisi avait comparu devant le Tribunal de Grenoble où il a été condamné à deux mois de prison avec sursis, quatre ans d’inéligibilité et 2000 euros d’amende pour provocation à la discrimination ou à la haine. Franck Sinisi était défendu par l’avocat Damien Viguier, également ami et avocat de longue date d’Alain Soral. Viguier a lui aussi été condamné en avril 2019 avec Soral à 5 000 euros d’amende pour complicité, en raison du contenu de sa conclusion dans sa plaidoirie.
En octobre 2017, le jour du procès, un rassemblement était appelé par des organisations politiques et syndicales. Un individu se présentant comme un étudiant en école de journalisme a réalisé des interviews filmées de camarades avant de les diffuser sur le site d’extrême-droite Media-Presse-Infos. Ce faux journaliste était d’ailleurs présent le 23 mars 2019 à la conférence d’Alain Soral, de même que Franck Sinisi.
Alliances à l’extrême-droite
Ces rapprochements entre E&R et Civitas ne s’arrêtent pas à l’échelle locale puisque Soral lui-même était invité à la « Fête du Pays réel », rassemblement annuel de toute l’extrême droite française à Rungis (7). Soral appelle également ses militant.es à se rendre à l’hommage rendu chaque année par les fascistes de tout poil à Jeanne d’Arc le 12 mai.
Le 23 mars dernier, comme Soral l’a lui-même souligné, E&R s’est retrouvé en difficulté pour avoir une salle dans le centre-ville. Ils se sont donc rabattus sur un terrain privé appartenant à la SCI La Katangaise sur les hauteurs de Seyssins. Même si l’on peut se féliciter du fait que l’extrême droite ne puisse pas sereinement venir tenir une conférence dans le centre-ville de la cuvette, nous déplorons une fois encore que ce n’est pas par la mobilisation massive des organisations et militant.es antiracistes et antifascistes que nous y sommes parvenus.
Face à l’extrême-droite, restons vigilant.es et mobilisons-nous contre leurs initiatives !
Notes :
(2) https://www.20min.ch/ro/news/geneve/story/-Alain-Soral--la-raclure--n-est-pas-le-bienvenu--14127658
(3) Voir l’analyse en vidéo de Saïd Bouamama sur le discours et les pratiques du soralisme, https://www.youtube.com/watch?v=kj442k6At4c
(4) http://lahorde.samizdat.net/2017/02/14/civitas-des-origines-a-nos-jours/
(7) http://brussels.indymedia.org/spip.php?article17054
Liens :
Un dossier complet sur l’implantation de l’extrême-droite à Grenoble (notamment les catholiques traditionalistes). Dossier qui date un peu mais toujours d’actualité : https://grenoble.indymedia.org/articles-4/locaux/2018-02-20-Cathos-integristes-et-extreme,45724?lang=fr
Article détaillé du Réseau de Lutte contre le Fascisme 38 sur les liens entre l’extrême droite politique et l’extrême-droite religieuse dans la région grenobloise : https://www.isere-antifascisme.org/en-isere-et-en-savoie-cathos-integristes-et-neofascistes-main-dans-la-main-s-implantent
Livres :
Robin d’Angelo et Mathieu Molard, Le système Soral, radiographie d’un facho-business, Streetpress, 2015. Présentation : https://www.streetpress.com/sujet/1440775955-documents-sur-le-systeme-soral
« Collectif des 4 », Le Cas Alain Soral. Radiographie d’un discours d’extrême droite, Lormont, Le Bord de l’eau, 2018.
Frédéric Balmont, Alain Soral ou le retour de la bêtise immonde, Esprtit Frappeur, 2016. Le mâle Empire, L’esprit frappeur.
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