Lettre ouverte à la Metro et à l’OHL
La Nuit de la Solidarité à Grenoble, nos questionnements
Parlons-en, le 18 janvier 2019
Le « Parlons-en » soutient toute initiative visant à donner la parole aux personnes qu’on n’écoute pas assez, en particulier les personnes à la rue. Nous tentons d’agir à notre manière pour que les récits et les luttes – individuels ou collectifs – de ces personnes soient visibilisés. Votre démarche fait donc écho à nos préoccupations. Néanmoins, nous tenons à vous faire partager nos questionnements vis-à-vis de la Nuit de la Solidarité :
Un état des lieux... de plus ?
« Avec cette action, l’Institution va redécouvrir la lune. » (Parlons-en, 8 novembre 2018)
« ça rend fou de voir les diagnostics, des rapports il y en a, des pavés de centaines de pages, comment les pouvoirs publics peuvent-ils dire qu’il leur manque encore des infos pour prendre des décisions ? » (Parlons-en, 8 novembre 2018)
Depuis plus de 20 ans, de nombreuses associations, collectifs et individus font remonter leurs connaissances, leurs chiffres, leurs histoires, dessinant déjà la réalité du sans-abrisme. Les alertes se multiplient, les constats sont toujours les mêmes voire s’aggravent sans être suivis d’actions. Il nous semble que les informations concernant les besoins et les parcours des personnes sans toit sont depuis longtemps relayées. Nous doutons qu’une nuit ponctuelle de recensement soit un outil qualitatif et quantitatif adapté pour faire bouger les consciences politiques.
Qui sera dans la rue la nuit du 30 janvier ?
« Ça veut dire quoi être à la rue ? Quand on me propose une nuit sur un canapé, ça ne veut pas dire que je ne suis plus à la rue ! » (Parlons-en, 8 novembre 2018)
« Quand tu es seul tu cherches un endroit sûr, même à tes potes tu ne dis pas où tu dors… et j’en connais beaucoup qui ont décidé de ne pas se montrer la nuit du 30 parce qu’ils se méfient de cette démarche, ils ne veulent pas être traqués. » (Parlons-en, 10 janvier 2019)
Nous nous interrogeons sur la représentativité de ce recensement. Comment seront prises en compte les personnes qui n’ont pas de logement propre, sans pour autant être comptées dans la rue le 30 janvier ? Nous avons entendu que seront prises en compte les personnes hébergées dans les dispositifs hivernaux, en squats, en campements, les personnes hospitalisées… Qu’en est-il des personnes hébergées par des tiers ? Dormir à la rue le 30 janvier nous semble être un critère insuffisant pour avoir une vision des enjeux du non logement dans l’agglomération.
Les maraudes et l’opinion des personnes concernées
« Les maraudes, on est plein à en faire toute l’année, c’est une démarche qui demande du temps pour entrer en relation avec les personnes » (Parlons-en, septembre 2018)
« Si des gens de bonne volonté se sentent touchés par le sans-abrisme, beaucoup d’associations seront ravies de bénéficier de leur participation en tant que bénévoles » (Parlons-en, novembre 2018)
« Selon le moment de la nuit, on ne va pas forcément bien les recevoir » (Parlons-en, novembre 2018)
Les maraudes à Grenoble sont nombreuses toute l’année, de jour comme de nuit, chacune avec leurs objectifs, leurs thématiques et leurs manières de faire. Ces démarches sont parfois bien reçues par les personnes concernées, parfois ressenties comme pesantes, répétitives et intrusives. Déployer 500 bénévoles pour une nuit dans l’année, est-ce une stratégie vraiment adaptée à la fois aux besoins des personnes à la rue en plein hiver, et aux enjeux actuels des maraudes existantes ?
La solidarité, c’est toute l’année. La souffrance à la rue aussi.
Nous sommes fatigué.e.s des actions ponctuelles et médiatiques qui font du non-logement un sujet de société en fonction du thermomètre. Mettre les projecteurs sur le sans-abrisme en plein hiver, puis l’oublier au 31 mars… Nous sentons un déséquilibre entre l’ampleur des moyens mis sur cette nuit de la solidarité et le peu d’informations sur les ressources qui seront mobilisées toute l’année pour répondre aux besoins des personnes interrogées lors cette nuit.
Les moyens humains et financiers déployés
De même, nous apprenons régulièrement la diminution voire la suppression des subventions publiques (toutes collectivités confondues) grâce auxquelles différents acteurs agissaient contre la précarité sur le territoire de l’agglomération. Nous sommes donc sceptiques quant à la légitimité de financer à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros cette démarche. Pourquoi ne pas mettre les forces sur le soutien aux initiatives existantes, ou encore la mise en place d’un dispositif permanent de discussion entre les personnes concernées par l’errance, la Métropole, les communes, les bailleurs, les acteurs de la solidarité… ?
D’autres priorités pour d’autres états des lieux
« Ce qui me semble bien plus urgent que de visibiliser les personnes à la rue, c’est de visibiliser les logements disponibles. » (Parlons-en, 10 janvier 2019)
Nous pensons que ces diagnostics, pour être transparents (d’autant plus lorsque l’initiative provient d’une institution publique) devraient aussi faire apparaître d’autres données : combien de places d’hébergement à l’année ? Combien en hiver ? Combien de relogements après la trêve hivernale ? Combien de bâtiments et de terrains – en particulier publics – vides ? Combien d’expulsions non empêchées – voire soutenues – par les pouvoirs publics ?…
Nous mettons nos forces dans la multiplication des lieux où les personnes concernées puissent se faire entendre et construire des actions collectives. Nous souhaitions vous faire part de ces questionnements dans un contexte où l’urgence nous semble être dans l’action politique plutôt que dans le diagnostic.
« Parlons-en »
lieu.grenoble(at)gmail.com - www.lieugrenoble.wordpress.com
Le Parlons-en est un espace de débat mensuel à Grenoble sur la vie à la rue et la précarité. Il rassemble des habitant.e.s de la rue, des bénévoles et des professionnel.l.es agissant dans le domaine de la grande précarité, des institutions… Cette lettre et les extraits qui y figurent sont issus des débats « Parlons-en » de novembre 2018 et janvier 2019.
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