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En Isère, le département arnaque les MNA (mineurs étrangers « non accompagnés »)

de Mediapart
6 mai 2021 Par Diane Farih

En France, nombre de mineurs étrangers pris en charge par les départements sont salariés en apprentissage et bénéficient, quand ils sont malades, d’indemnités. En théorie.

Quand les apprentis tombent malades, ils ont droit, en France, à des indemnités journalières comme n’importe quel salarié. Quand ces apprentis sont des mineurs étrangers « non accompagnés » (MNA dans le jargon), placés sous protection et tutelle des départements, ils ont droit à ces indemnités au même titre que tous les autres. C’est une évidence. Et pourtant. D’après nos informations, le département de l’Isère, dirigé par la droite depuis 2015, capte discrètement les indemnités de certains mineurs étrangers.

Au lieu qu’elles tombent sur le compte bancaire des adolescents (qui ont cotisé), c’est le département qui perçoit les sommes versées par l’assurance maladie, pouvant aller de quelques dizaines à plusieurs milliers d’euros sur la durée.

Aux mineurs informés de leurs droits qui finissent par en demander la restitution, il faut parfois six mois, voire près d’un an, pour les récupérer. Et certains MNA ne les ont probablement jamais reçues, parce qu’ils ne les ont pas réclamées.

Concrètement, comme partout en France, les jeunes étrangers auxquels le statut de MNA est reconnu par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Isère sont confiés à des structures (associatives pour la plupart), qui leur proposent un hébergement et les accompagnent dans leurs démarches scolaires. Beaucoup s’orientent vers une filière en apprentissage qui permet d’accéder plus vite à une autonomie financière.

À la signature du contrat d’apprentissage, le département ouvre donc à ces MNA un compte bancaire, sur lequel ils perçoivent leur salaire mensuel. Mais les services de la collectivité ne modifient pas systématiquement le RIB enregistré sur le compte de ces jeunes à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM)... Des indemnités journalières d’apprentis malades ou victimes d’un accident du travail tombent alors sur le compte du département lui-même. Interrogée en mars dernier, l’assurance maladie de l’Isère confirme à Mediapart : « Lorsque la CPAM [...] reçoit le contrat d’apprentissage [...], le RIB du jeune MNA est demandé systématiquement (souvent à l’Aide sociale à l’enfance). Il arrive que ce nouveau RIB ne nous soit pas adressé, auquel cas c’est en effet celui du conseil départemental qui reste enregistré. »

À l’été 2020, d’après un enregistrement que Mediapart s’est procuré, un agent du département interpellé par un éducateur affirmait que les services étaient « en train d’absorber le retard ». Pourtant, en mars 2021, la CPAM indiquait encore à Mediapart que 48 « bénéficiaires de l’ASE en contrat d’apprentissage » conservaient « [le RIB] du conseil départemental [enregistré]. »

Il serait « faux d’affirmer [qu’on] capterait les indemnités », nous répond de son côté le département, qui affirme « reverser » les sommes aux adolescents. En réalité, pour faire respecter leurs droits et récupérer leur dû, les apprentis étrangers rencontrent des obstacles majeurs et doivent mettre en branle une procédure fastidieuse.

Dans notre enregistrement de l’été 2020, l’agent du département interpellé par un éducateur reconnaît d’ailleurs avoir été informé que des jeunes « n’étaient pas au courant qu’ils pouvaient percevoir des indemnités ». Venant de pays non européens, ces ados n’imaginent pas qu’ils y ont droit, et ne songent pas à solliciter l’aide de leurs travailleurs sociaux. Quant à ces derniers, souvent débordés, ils n’ont pas toujours le temps ni le réflexe de diffuser l’information.

Ensuite, si la procédure existe sur le papier, elle s’avère complexe dans les faits. Pour que le MNA et son travailleur social puissent demander remboursement auprès du département, il leur faut récupérer, via le compte Ameli du mineur, une attestation de versement des indemnités par la CPAM. Encore faut-il accéder au compte Ameli sur Internet : ni les jeunes ni les structures d’accompagnement n’en reçoivent le code d’accès. Celui-ci arrive au département, qui doit le faire suivre aux travailleurs sociaux... Avec l’inquiétude que le code se périme.

« Ce n’est pas le département qui décide de la procédure d’indemnisation, c’est la CPAM, nous rétorque le service communication du département. Cette dernière est complexe, nous n’en sommes pas responsables. »

Questionné sur les montants qu’il doit encore à des apprentis MNA, le département ne nous a pas répondu. Ni sur les délais d’attente imposés à ceux qui ont finalement été remboursés.

D’après des documents consultés par Mediapart, ce remboursement, quand il a lieu, peut survenir près d’un an après l’arrêt de travail, pour des sommes allant de quelques dizaines d’euros à plusieurs milliers tout de même. Pour des mineurs isolés dotés de peu de ressources, ces délais s’avèrent beaucoup trop longs. Certains risquent même de devenir majeurs entre-temps, de perdre leur droit au séjour, etc.

À la suite de notre sollicitation, la CPAM de l’Isère a indiqué qu’elle allait « refaire le point avec [le conseil départemental] sur ces circuits ». Trois ans après la forte augmentation des arrivées en France de mineurs isolés, il serait temps.

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