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Aux frontières de l’exploitation - Esquisse d’une pensée contre les frontières étatiques et de classe

Ce 10 janvier 2019, deux camarades comparaissent devant le tribunal correctionnel de Gap. Ils sont accusés d’aide au passage illégal de la frontière franco-italienne, dans les environs de Briançon.
Il n’y a pas lieu de s’en indigner ni même de s’en étonner. Le contrôle des frontières et des marchandises et humains admis ou non à les franchir est une prérogative exclusive et essentielle des états.
Qui s’incarne au quotidien dans la persécution et la mise en danger par les forces de l’ordre des personnes qui tentent de rentrer et de séjourner en France sans les bons papiers.
Qui se traduit par la conclusion d’accords avec les chefs de guerre libyens, le roi du Maroc et autres dictatures, turque ou soudanaise. Le concept : l’externalisation des frontières. Les conséquences : des dizaines de milliers de vies englouties par le désert et la mer, le viol des femmes et la torture systématisées, l’internement de masse dans des camps de concentration, l’esclavage.
De Khartoum à Calais, des barbelés des camps libyens aux patrouilles nocturnes de flics dans la montagne, une seule et même politique.

Quiconque entend contester ce monopole du contrôle des frontières par l’état s’expose à une réaction du pouvoir. Réaction qui s’exprime dans ce tribunal par la voix du procureur et la future sanction des juges. Dans ce système-monde, la répression prend des formes multiples : elle est économique, policière, pénale, plus ou moins systématique et brutale selon la position à laquelle on est assigné dans l’échelle des dominations.

Carnage
Ce monde, ce système est un carnage. Un pillage sans limite de l’ensemble des ressources, rendant invivable une partie croissante des territoires que les gens sont obligés de quitter. Un carnage écologique qui se décline en extraction de la biomasse, désertification, appauvrissement des sols, assèchement et pollution massive des cours d’eau, fonte des réservoirs d’eau douce, disparition de la biodiversité et des pollinisateurs naturels, contamination chimique et nucléaire de territoires. D’Amazonie en Afrique centrale, en Mongolie, en Biélorussie ou au Japon. Partout.
Insécurité alimentaire de masse, famines, épidémies, génocides et autres fléaux s’abattent sur des pans entiers de l’humanité. Ils sont les effets et le cœur de la guerre, qu’elle soit économique, financière, ou militaire.

Le vivant en général est soumis à un comportement délirant, complètement cannibale, du système capitaliste. Tout est propre à devenir marchandise : de l’eau potable au corps des femmes, de l’AK-47 au fœtus.

Ce carnage laisse des traces irrémédiables de violence dans les histoires individuelles et collectives. Ce système sème la mort et le désert. Et plus que jamais, la misère et l’exploitation sont le lot commun de l’humanité dans son ensemble — ou presque. Dans un tel système, tôt ou tard, n’importe qui peut se retrouver et se retrouvera naufragé et devra partir pour chercher ailleurs où et comment survivre.
Dans cette guerre impitoyable contre le vivant et l’humanité, nous sommes toutes et tous des naufragé-es en devenir.

Dans cette logique, nous sommes tous·tes marchandises, ressources et fusibles de la logique de rentabilité du capital. La mondialisation s’est faite au profit de puissances industrielles et financières dans une logique de privatisation totale au prix d’une dépossession du plus grand nombre.
L’histoire des pays colonisés renferme son lot de souffrances et d’exploitation outrancières, de racisme, de négation de l’individu, de guerres, et de domination des puissances occidentales.
Les monopoles industrialo-financiers occidentaux ont pu, grâce aux soutien des états et de leurs armées, par l’influence et la corruption des possédants locaux des colonies ou ex-colonies, s’approprier toujours plus de matières premières, accroître leur production, s’abreuver de nouveaux marchés juteux, dans des régions où les coûts sont bas, le droit salarial quasiment absent et l’exploitation quasi-esclavagiste.

Marchandise humaine et compétition
Les migrations vers l’Europe, si marginales qu’elles soient par rapport aux mouvements migratoires dans le monde, ont généré un bruit médiatique phénoménal ces dernières années. Ces candidats à l’intégration représentent une aubaine à plusieurs titres. Boucs émissaires parfaits dans une période de rhétorique d’insécurité permanente, ils permettent d’acheter et de fabriquer l’électorat de l’extrême-droite. Ils justifient ensuite de renforcer aux frontières intérieures et extérieures de l’Europe, et sur tous les territoires possibles l’emploi de matériels et moyens de surveillance, contrôle, répression, enfermement, etc, un terrain de jeu et un marché lucratif pour l’industrie d’armement. Les nouveaux arrivant·es représentent enfin une main-d’oeuvre idéale : arrivée auprès de l’employeur à ses propres frais, à un prix défiant toute concurrence locale, sans protection sociale ni sécurité au travail, rendue docile par les difficultés du parcours, et jetable dès qu’elle n’est plus utile.
Le patronat ne s’y trompe pas lorsqu’il affirme la nécessité de cette migration corvéable à merci. Comment pourrait-on alors encore aujourd’hui penser que l’immigration représente un problème alors qu’elle contribue à la croissance, si ce n’est pour s’assurer que les exploités soient mis en concurrence ?

Dans les anciennes colonies françaises comme en hexagone, on peut se retrouver à travailler pour les mêmes firmes transnationales, plus ou moins exploité selon que l’on dispose ou pas des bons papiers. On peut ici se sentir privilégié bien que « la crise » (qui n’est qu’une réorganisation de la production capitaliste) touche également la population voyant son niveau de vie reculer. Les licenciements massifs des pôles industriels (ex Arcelor Mittal) ruinent des vies ouvrières nombreuses et ne sont pas dus à la migration des humains mais à celle des machines et des investissements là où les coûts de production sont plus attractifs, plus « compétitifs ».

Les migrant.e.s sont accusé.e.s d’être des concurrent.e.s sur le marché du travail alors qu’iels sont d’autres exploité.e.s. Les camionneurs.euses français ont douloureusement senti la venue des travailleurs.euses d’Europe de l’est sous la forme d’une plus grande pression de leurs patrons sur les heures, le taux horaire, etc.
Le repli nationaliste, xénophobe qui se répand et peut apparaître comme une « menace pour la démocratie » est compréhensible dans ce contexte d’insécurité économique, de souffrance et de précarité qui ne sont que les effets concrets de la mise en concurrence violente du prolétariat.

Valeur(s)
Liberté, égalité, fraternité. Les valeurs invoquées par l’état dans son histoire moderne ont été et restent diverses manières d’habiller les logiques d’exploitation pour les justifier, et ce quelles que soient les références utilisées : supériorité raciale blanche, scientisme, positivisme, développement, droits de l’homme. Tous les « universalismes » nés dans les milieux intellectuels des pays conquérants ont été autant de valeurs mobilisées par la classe dominante pour la défense de ses intérêts propres, industriels, économiques, culturels, etc.

Ces valeurs ne sont pas des idéaux que l’usure du fonctionnement des institutions démocratiques aurait dévoyés, mais ont été le drapeau avec lequel le capitalisme a revêtu son passage en système dominant dans le monde. Et ce drapeau n’est déjà plus qu’un torchon sale et jeté à la poubelle de l’histoire d’en haut.

Du reste, les chiens de garde du système, chroniqueurs autorisés et autres « penseurs » réactionnaires ne s’y trompent pas, qui ne s’appuient guère plus sur ces valeurs que pour justifier la fermeture de l’espace intérieur, où elles seront protégées d’un extérieur « barbare » : la sécurité éventuellement liberticide au nom de la liberté, ou encore l’égalité au sein d’une partie choisie de la population. Le déchainement de mépris, au nom des valeurs républicaines, qui a pu s’exprimer ces dernières semaines à l’encontre de celles et ceux qui ont pris la rue et les rond-point, affirmant leur refus d’être gouvernées et tentant de se relier et de s’organiser en conséquence, relêve du même mécanisme. Là-bas, les « barbares », ici, les « foules haineuses ».En danger, les valeurs. Et pour les défendre, la force.

Aujourd’hui, l’état déploie une milice à ses frontières pour suveiller et traquer les éxilé.e.s. Des maraudes s’organisent pour leur porter secours, non pas seulement parce que la montagne, la neige et le froid sont en eux-mêmes des dangers, mais du fait de la mise en péril qu’entraîne ce déploiement sécuritaire. Et la justice pourchasse celles et ceux qui y prennent part. Le message se veut clair : quiconque entend traduire en actes des valeurs pourtant gravées au fronton de tous les bâtiments publics peut finir en taule.
Dès lors, peut on attendre d’un tribunal qu’il rétablisse, au nom de ces valeurs, un prétendu « état de droit » qui n’est, en définitive, rien d’autre que l’expression d’un rapport de forces, celui du totalitarisme capitaliste et des violences qui, partout, toujours, l’accompagnent ?

Peut on même invoquer ces valeurs dans une sorte d’absolu qui évacuerait la question de fond des rapports d’oppression qui, pourtant, conditionnent la possibilité, ou en l’occurence l’impossibilité, de leur réalisation ?

Nous ne voulons plus croire en ce mensonge. Dans la guerre qu’il mène contre le vivant et l’humanité, ce système, dont l’état n’est qu’un rouage, n’admet qu’une valeur : celle du profit.

Et alors ?
Quelle possibilité pour une lutte dans le Briançonnais, territoire où la classe prolétaire (saisonniers des stations et précaires du bâtiment) est atomisée et pour une part importante itinérante, donc peu organisée face au travail, et qui se retrouvera à la rue quand le réchauffement climatique aura fait fondre les espoirs de loisirs de neige ? Quelle lutte dans un territoire où la classe possédante profite de l’exploitation touristique de la montagne mise en scène comme un espace « sauvage », « préservé » dans un spectacle caractéristique du capitalisme de loisirs ? Quelle lutte possible dans un territoire où les forces de l’ordre sont chargées d’assurer que les « indésirables » soient invisibles dans ce décor de cartes postales ?
Bousculer cet ordre frontalier implique de remettre en cause l’ensemble de l’industrie de loisirs qui n’est qu’une forme locale du carnage mondial.

Ni ici ni ailleurs, nous ne voulons qu’une infime minorité prenne les décisions, accumule les richesses. Ni ici ni ailleurs, nous ne pouvons ignorer le carnage. Mais une perspective où l’on aide un « autre » quand tant d’autres restent livrés à eux-mêmes peut-elle suffire ? Peut-on imaginer nous extraire du carnage, nous émanciper collectivement autrement que dans une lutte commune ? Peut-on faire autrement que lutter dans chaque situation où nous percevons nos intérêts communs pour les réaffirmer et nous libérer ensemble, à partir d’une conscience de condition commune, entre exploité-es et face aux exploiteurs ? Peut-on s’opposer plus longtemps aux politiques racistes d’état sans s’associer avec les principaux concernés, la où ils et elles s’organisent et luttent déjà ? Peut-on combattre les violences policières sans une analyse systémique qui prenne en compte a minima l’ensemble des perspectives évoquées ici ?

Texte imaginé et rédigé par un collectif de personnes socialement hétéroclites mais qui sont toutes blanches et avec les papiers nationaux français, et qui ne demande qu’à être discuté et amélioré...

lundi 28 octobre 2019

Procès en appel de Cesaï, squat à Gap

13h30 - 18h00

Le CESAÏ est un squat ouvert à Gap depuis mi-octobre 2018 dans des locaux gérés par la mairie et
appartenant à l’EPF PACA, société publique de gestion des biens immobiliers dans la région.

Ce lieu est d’abord un lieu de vie, où près de 70 personnes résident, mais aussi un lieu de passage pour
tout type d’individu qui veulent se reposer, trouver un toit ou partager des moments. C’est encore un lieu
où s’organisent des évènements, des repas partagés, des discussions, etc.

Le maire de Gap nous a attaqué en justice par le biais d’un référé d’heure à heure, procédure qui a pour
objectif de nous laisser peu de temps pour organiser notre défense afin de nous expulser rapidement sur
des raisons d’urgence et de sécurité (pour votre sécurité, vivez à la rue).
La première audience au tribunal de Gap a conclut à un délai de 30 mois car le dossier de la mairie n’avait
rien de sérieux, hormis quelques photos d’un huissier n’ayant aucune connaissance en sécurité des
bâtiments. La mairie avait annoncé dans le daubéphiné qu’elle ne remettrait pas en question la décision de
justice. Pourtant, elle a quand même choisi de faire appel en rajoutant aux charges « l’ urgence » d’un
projet d’urbanisme qu’ils veulent faire dans le quartier où nous vivons : ce quartier est voué à être démoli
et transformé en « logements sociaux » pour personnes âgées à 1000€ par mois, commerces, parkings, et
autre. En pleine période de campagne pour Mr le maire, voilà quelque chose à faire miroiter aux futurs
électeurs de 2020. Mais l’urgence est mise en scène. En réalité, jusqu’à maintenant, très peu de
communication a été faite sur ce projet qui reste flou.

Étant donné qu’il n’y a pas de cours d’appel à Gap, le procès aura lieu à Grenoble le 28 octobre à 14h, au
tribunal vers la gare. Cela rend notre présence et celle de nos soutiens habituels plus complexe : plus
difficile de réunir les troupes hors de chez soi ! Nous sommes motivés à se rencontrer, échanger, dans le
but de s’organiser ensemble pour les prochains appels, (3+4, maraudes ...) ou autres raisons (coordination
sud-est ...) et faire un maximum de zbeul contre les frontières et toutes les expulsions.
Nous proposons dans un premier temps de venir à Grenoble afin de discuter de tout ça, de préparer des
choses ensemble et de commencer une organisation dans la durée.
De notre coté nous sommes en train de voir pour réaliser un trajet jusqu’à Grenoble avec un maximum de
monde.

Des bisous.

Depuis que ce texte a été écrit, la situation a un peu changé, un comité est venu pour s’assurer que les normes ERP était respectées alors que le batiment est un logement privé. Nous ne les avons pas laissé rentrer, ils ont donc décidé de mettre le batiment sous une mise en péril imminent, nous ne savons pas encore exactement ce que cette procédure va faire, surement un procès au tribunal administratif de Marseille à venir.

Cour d’appel de Grenoble (10 Rue d’Arménie)

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