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Petite recension des derniers dispositifs de surveillances électroniques mis en place par l’État

En réaction à la manifestation de Sainte-Soline contre les méga-bassines en octobre dernier, Gérard Darmanin dénonçait « des modes opératoirs qui relèvent de l’écoterrorisme ». Que le ministre de l’Intérieur assimile publiquement une lutte écologique à du « terrorisme » n’a rien d’anodin, il s’agissait certainement de préparer les esprits aux probables opérations répressives à venir. Evidemment, la mobilisation du vocable de l’antiterrorisme n’opère pas seulement sur les perceptions du citoyen, elle annonce et autorise aussi le déploiement de ses méthodes et techniques sur le plan judiciaire et extra-judiciaire comme le renseignement intérieur. En terme de surveillance, par exemple, la qualification « terroriste » permet notamment de s’affranchir de nombreux garde-fous et de mettre en place des dispositifs de géolocalisation, de captation d’images ou de conversations qui seraient normalement considérés comme attentatoires à la liberté publique et politique et donc illégaux. Ces dernières années, un certain nombre de ces dispositifs visant des mouvements ou des groupes politiques ont été découverts fortuitement. En voici une recension et un inventaire certainement non-exhaustifs.

Deux-Sèvres, janvier 2023

Le 27 janvier dernier, le porte-parole du collectif Bassines non merci présente à la presse le traçeur GPS que son garagiste vient de retrouver sous l’essieu avant gauche de son véhicule. C’est la deuxième fois que Julien Le Guet se livre à ce type d’exercice.
Au printemps 2022, déjà, le porte-parole découvre qu’il est l’objet d’une surveillance policière rapprochée. Jovial et décontracté, Julien Le Guet présente le 18 mars aux journalistes de France 3 le dispositif de vidéosurveillance retrouvé à Sevreau (79) devant le domicile de son père, lieu de réunion des militants anti-bassines. La caméra, installée dans un fossé, recouverte d’un filet de camouflage et de feuilles, était reliée à un routeur Pepwave et à deux mallettes renfermant des batteries lithium de haute technologie.

Dijon, Novembre 2022

Découverte à Dijon de deux boîtiers installés en haut de poteaux électriques près des entrées de deux lieux politiques autogérés, le Quartier Libre des Lentillères et l’Espace Autogéré des Tanneries. Des boîtiers anodins qui renfermaient une caméra à globe orientable et une antenne de transmission des données. Alimentés par le biais du poteau électrique, les dispositifs permettaient l’enregistrement des allées et venues des usagers des lieux, et dans les deux cas, le champ de la caméra englobait également les fenêtres de plusieurs chambres d’habitation. On parle ici d’une surveillance de longue durée. Le passage en revue de photos privées et la consultation de google street view ont permis d’attester la présence des caméras depuis au moins 2019, de manière discontinue. Les militants dijonnais ont révélé le 3 février dernier la surveillance dissimulée dont ils ont fait l’objet et appellent à un rassemblement contre la surveillance d’Etat le 18 février à Dijon. Pour plus de précisions sur ces dispositifs en particulier, voir notre article ici.)

Bibliothèque anarchiste Libertad, Paris, mars 2022

Le 29 mars, un dispositif de surveillance audio est retrouvé à la bibliothèque anarchiste Libertad à Paris. Le petit boitier était caché à l’intérieur de l’imprimante-photocopieuse de la bibliothèque. Il était composé de deux micros, d’une antenne, d’un transformateur, d’une batterie, d’un boîtier contenant une carte électronique, d’une carte SD de 64 Go et d’une carte SIM du fournisseur de téléphonie mobile Orange. D’après le communiqué (Source : https://bibliothequelibertad.noblogs.org/post/2022/04/02/un-micro-trouve-a-la-bibliotheque-anarchiste-libertad) annonçant la découverte du dispositif, il s’agissait d’un dispositif de surveillance de modèle RB800 commercialisé par l’entreprise italienne Innova.

ZAD du Carnet (44), août 2020

Quatre caméras sont retrouvées près de la ”ZAD du Carnet”, une zone de lutte contre la création d’une zone industrielle en Loire-Atlantique. Les quatre caméras, dissimulées près d’un portail d’accès à la zone, sont camouflées dans une fausse bûche d’arbre et de fausses pierres. Elles filmaient en continu et étaient reliées, via des câbles enterrés, à de grosses batteries et modems, également dissimulés, permettant d’envoyer directement les images à un poste à distance. Les caméras sont retrouvées le 31 août, et semblent avoir été installées à la veille d’un ”week-end de résistance”, organisé sur place les 29 et 30 août.

Sarthe, septembre 2018.

Trois caméras de surveillance extérieures sont découvertes lors d’un évènement organisé en soutien à la lutte contre le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure. Les caméras sont toutes situées le long d’un chemin de 250m qui mène au lieu de l’évènement. Deux caméras de modèle BOLYGUARD MG983G sont retrouvées par terre dans l’herbe et dans un buisson, à 80cm du sol, et sont recouvertes d’un filet de camouflage. La troisième caméra, de modèle RECONYX HYPERFIRE SM750, est retrouvée sur un tronc d’arbre, à 1m20 du sol. Le contenu des cartes SD révèle plusieurs choses : les dispositifs ont été installés le jour même, très tôt dans la matinée (entre 3h30 et 4h) ; les trois appareils ont une vision nocturne, deux étaient configurés pour prendre des photos et un pour enregistrer la vidéo et le son ; leurs dispositions permettaient de prendre en photo les plaques d’immatriculations situées à l’avant et à l’arrière des véhicules circulant sur le chemin, ainsi que les personnes qui empruntaient le chemin à pied.


Ces quelques exemples ne regroupent que certaines des découvertes fortuites de matériel de surveillance, impossible de savoir combien d’installations de ce type sont ou ont été installées ces dernières années. Le procès qui a visé les militants anti-nucléaires de Bure et qui se solde par 4 relaxes et 3 condamnations avec sursis pour ’participation à un attroupement’ aura au moins permis d’apprendre que pour en arriver là, les services de police ont du déployer, sur quatre ans d’enquête, 1 million d’euros pour financer notamment la mise sur écoute de dizaines de personnes, la retranscription d’un millier de discussions, 85.000 conversations et messages interceptés et plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique. Un déploiement hors-norme, permis par la qualifiation des chefs d’inculpation d’’association de malfaiteurs’, pour laquelle la Cour d’Appel de Nancy a simplement refusé de statuer dès le tout début du procès, la considérant totalement infondée.

Qu’elle soit ’légale’ ou non, que cette surveillance émane d’une décision du parquet, d’un juge ou qu’elle provienne d’initiatives hors-cadres, il est clair que la dimensions des moyens utilisés est directement liée à l’invention stratégique de cette soi-disant menace, qui ’criminalise’ les milieux contestataires. Liant dans les esprits et dans les lois ces luttes au terrorisme, elle permet en retour le déploiement de moyens antiterroristes et met ainsi en place insidieusement cette repression (mal dissimulée !). Le projet de loi ultra-sécuritaire qui vient d’être transmis à l’assemblée nationale et qui vise à expérimenter la surveillance algorithmique (VSA) durant les JO de Paris doit être combattu en s’appuyant notamment sur les milieux déjà victimes de surveillance généralisée.

A la suite de la découverte par Julien Le Guet du dispositif d’espionnage situé devant le domicile de son père en 2022, la communication en deux temps de la préfecture déclarant d’abord être ’surprise comme tout un chacun’ par la découverte du dispositif, puis, tout en niant en être à l’origine, défendant entièrement la mise en place de tels dispositifs ’posés dans le strict respect du cadre légal’ pour la gestion de manifestations, montre que les services de l’Etat hésitent encore sur la conduite à tenir quand leurs pratiques sont mises à jour. Le rassemblement prévu à Dijon le 18 février contre la surveillance politique semble être une bonne occasion de rappeler à l’Etat que ses opposants politiques le tiennent à l’œil.


Les descriptions des dispositifs évoqués dans cet articles viennent du site https://earsandeyes.noblogs.org/frqui travaille au recensement des dispositifs de surveillance dissimumlés connu. N’hésitez pas à aller y jetter un oeil, ou à y contribuer.

Vous trouverez plus d’informations sur le rassemblement du 18 février à Dijon contre la surveillance des opposants politiques sur le site https://dijoncter.info/rassemblement-festif-contre-l-espionnage-de-l-etat-envers-ses-opposant-es-4310

article publié le 14 février sur lundi.am

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