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Communiqué : résistances féministes aux impérialismes et aux guerres

Résistances féministes aux impérialismes et aux guerres

Il nous faut prendre le temps de la réflexion en période de génocides et de guerres
, et ce malgré la difficulté d’analyser, débattre, conceptualiser les choses tandis que les massacres sont en cours, sous nos yeux ou dans l’indifférence. Les guerres nous imposent leur rythme et détruisent la créativité et les habitudes politiques, sous l’impératif absolu de l’urgence humanitaire, ou la pression des régimes de censure. Nommer les impérialismes et leurs formes multiples est essentiel pour désamorcer les angles morts, dans une intelligence de la situation qui se nourrit des habitudes d’organisation et de réflexion expérimentées ailleurs, et de leur transmission, plus vitale que jamais. D’une médiatisation calibrée sur le discours israélien en Palestine, au silence entourant les massacres au Soudan, en passant par l’invisibilisation de la résistance populaire en Syrie et au Kurdistan, les peuples sont les oubliés des récits guerriers, et l’angle de l’analyse est choisi par les puissants. Cette posture amnésique nous condamne à un éternel recommencement, et aux récupérations opportunistes des outils développés dans les luttes populaires.

D’où notre attention aux micro-pratiques de lutte et de résistance.
Cela vaut aussi en contexte de diaspora, à travers les solidarités que cela permet de développer. Se nourrir de la richesse de nos expériences et trajectoires personnelles nous renforce. Nous nous écartons d’une analyse militante plus surplombante, qui reproduit les catégorisations (occidentales, viriles) opposant le personnel et l’objectif, la raison et les émotions. Nous parlons depuis un ici, et non pas pour raconter seulement un là-bas. Les gouvernements et entreprises occidentales maintiennent leurs intérêts dans les territoires en guerre. Ils contrôlent les parcours migratoires, les richesses et les révoltes, savent saboter l’autodéfense des communautés. Nos destins sont liés.

Des résistances se créent aussi pendant les guerres, tout comme des ponts se créent entre les femmes* et entre leurs histoires. La multiplicité de ces formes de lutte : humanitaires, civiles, combatives ou quotidiennes, en intérieur comme en extérieur, redéfinissent les résistances, défiant souvent à la fois l’armée et les milices, décentralisant le pouvoir jusque dans les foyers. En situation, la réalité déborde nos principes abstraits, et nous devons, par exemple, travailler avec des ONG dont nous connaissons par ailleurs les effets déstructurants sur le terrain, en Ukraine comme en Syrie. Des formes spécifiques de collaboration, de temporalité, d’action, émergent dans le temps de la guerre, qui est très différent du temps de la paix. Comprendre ces expériences nous renforce. Depuis les Comités de Quartier au Soudan, aux formes d’autogestion en Syrie, de nouvelles féministes suivent les pas des militantes des droits des femmes et de minorités de genre, des générations précédentes. Il n’y a pas un seul parcours de femme* en lutte. Mais ces parcours multiples se font écho et construisent à travers le monde un mouvement, contre les guerres et pour les territoires, dont aujourd’hui la Palestine est une boussole et un champ d’expérience. Au silence international étatique s’oppose un élan de rue inédit, rappelant à l’instar d’Acción Global Feminista que les mouvements indigènes ont leur récit de libération de la terre et de l’exploitation patriarcale à la fois : la fierté de s’approprier notre corps et notre environnement.

Résister, c’est parler ici et maintenant des besoins et envies. C’est refuser de soutenir les bouchers en les intégrant à un axe de résistance. C’est parfois résister à l’intérieur des mouvements féministes. C’est décoloniser les luttes décoloniales. C’est incarner les lignes de mobilisation de la rue iranienne. Le terrain évolue vite ; il est d’autant plus nécessaire de l’écouter et de se questionner. Comment intégrer le nouveau paradigme de la guerre numérique ? Quand finit et commence le conflit externe ? Comment s’imbrique-t-il aux conflits internes ? Comment nommer la récupération des luttes indigènes par les États du Sud Global ? Et, “comment en sommes-nous arrivéEs là” ? La solidarité transnationale, en tant qu’expérience et pratique au long cours, est une façon de se définir comme sujet politique. Construire avec les minorités devient une urgence méthodologique et non un impératif moral : lutter dans et depuis les marges construit puissamment au présent le temps de l’après, en déconstruisant notamment les invisibles évidences du suprémacisme blanc et en rappelant la centralité de la lutte contre la pauvreté. Nous savons à cet égard ce que les résistances globales doivent au mouvement Black Lives Matters.

Résister, c’est aussi combattre les instrumentalisations et le détournement des révolutions
. Récupération au final, dans des jeux de manœuvres politiques, des acquis de l’organisation populaire atteints au prix de nombreux sacrifices dans la guerre et la répression, comme cela s’est vu au terme des révolutions soudanaises, syriennes. Instrumentalisation des causes progressistes au service d’idéologies conservatrices et suprémacistes, comme cela s’est vu dans le féminisme indigent dans lequel se drape la propagande israélienne, et dans l’usage islamophobe du puissant soulèvement Femme* Vie Liberté, en France notamment. Résister ce n’est pas seulement dénoncer ces mécanismes, mais travailler à une perspective féministe qui propose d’autres voies que les logiques binaires, en réfléchissant par exemple concrètement à la question de la sécurité substantielle, corporelle, des femmes* et des minorités de genre dans la guerre, au-delà d’une approche centrée sur les violences sexuelles comme armes de guerre.

Il nous faut travailler à nous défaire du rythme imposé, être présentes dans l’urgence en écoutant le passé. Poser nos souffles dans la durée, en nous appuyant sur nos alliées identifiées. Développer les capacités à nous nourrir, à nous défendre et à ne pas fixer à autrui un système. Défaire non pas un seul mais de multiples formes de stéréotypes, qui quadrillent le monde et permettent aux récits guerriers et réducteurs de s’en saisir. Multiplier et ouvrir les espaces de rencontre, développer l’entraide matérielle et un récit commun des situations.

Assemblée Féministe Transnationale

***

Feminist resistances against imperialisms and wars


We need to take the time for reflection in times of genocides and wars
, despite the difficulty of analyzing, debating and conceptualizing things while massacres are taking place, before our very eyes or in indifference. Wars impose their rhythm on us and destroy creativity and political habits, under the absolute imperative of humanitarian urgency, or the repression of censorship regimes. Naming imperialisms and their multiple forms is essential to defusing blind spots, in an intelligence of the situation that feeds on the habits of organization and reflection experienced elsewhere, and their transmission, more vital than ever. From calibrated media coverage of Israeli discourse in Palestine, to the silence surrounding the massacres in Sudan, to the invisibilization of popular resistance in Syria and Kurdistan, the peoples are the forgotten ones in war stories, and the angle of analysis is chosen by the powerful ones. This amnesiac posture condemns us to eternal recommencement, and to opportunistic recuperation of the tools developed in popular struggles.

Hence our attention to micro-practices of struggle and resistance
. This is also true in a diaspora context, through the solidarities it allows us to develop. We are strengthened by the richness of our personal experiences and trajectories. We are moving away from a more prevailing militant analysis, which reproduces (Western, virile) categorizations opposing the personal against the objective, reason against emotion. We speak from a here, not to relate just a there. Western governments and corporations maintain their interests in war-torn territories. They control migration routes, wealth and revolts, and know how to sabotage communities self-defense. Our destinies are intertwined.

Resistance is also created during wars, just as bridges are built between women* and between their histories. The multiplicity of these forms of struggle - humanitarian, civil, combative or everyday, indoors or outdoors - redefine resistance, often defying both the army and militias, and decentralizing power right into the home. In this situation, reality goes beyond our abstract principles, and we have, for example, to work with NGOs the destructive effects of which on the ground, in Ukraine as in Syria, are well known to us. Specific forms of collaboration, temporality and action emerge in wartime, which is very different from peacetime. From neighborhood committees in Sudan to forms of self-management in Syria, new feminists are following in the footsteps of women’s rights and gender minority activists of previous generations. There is no single path of a woman* in struggle. But these multiple paths are echoing each other and building a movement around the world, against wars and for territories, of which Palestine today is a compass and a field of experience. International state silence is countered by an unprecedented street momentum, reminding us, as Acción Global Feminista does, that indigenous movements have their own narrative of liberation from both the land and patriarchal exploitation : pride in taking ownership of our bodies and our environment.

Resistance means talking about needs and desires here and now. It means refusing to support butchers by integrating them into an axis of resistance
. It sometimes means resisting within movements. It means decolonizing decolonial struggles. It means embodying the mobilization lines of the Iranian street. The field is changing fast, and it is all the more necessary to listen and question it. How can we integrate the new paradigm of digital warfare ? When does external conflict end and begin ? How does it fit in with internal conflicts ? How can we name the recycling of indigenous struggles by the states of the Global South ? And, "how did we get here" ? Transnational solidarity, as a long-term experience and practice, is a way of defining oneself as a political subject. Building with minorities becomes a methodological urgency, not a moral imperative : fighting in and from the margins powerfully builds now the time after, notably deconstructing the invisible evidence of white prejudice, and reminding the centrality of the fight against poverty. In this respect, we know how much global resistance owes to the Black Lives Matters movement.

Resistance also means combating the instrumentalization and hijacking of revolutions
 : the ultimate recuperation, through political maneuvering, of the gains of grassroots organization achieved at the price of many sacrifices in war and repression, as was seen at the end of the Sudanese and Syrian revolutions. Instrumentalization of progressive causes in the service of conservative and supremacist ideologies, as seen in the destitute feminism in which Israeli propaganda drapes oneself, and in the Islamophobic use of the powerful uprising Woman* Life Freedom, notably in France. To resist is not only to denounce these mechanisms, but to work towards a feminist perspective that offers other paths than binary logics, for example by reflecting concretely on the question of the substantial, bodily security of women* and gender minorities in war, beyond an approach centred on sexual violences as weapons of war.

We need to work to break away from the imposed rhythm, to be present in the emergency by listening to the past
. We need breathe on the long-term, relying on our identified allies. Develop the ability to nurture ourselves, to defend ourselves and not to impose a system on others. Break down not just one, but many forms of stereotyping, which criss-cross the world and allow warrior and reductive narratives to take hold. Multiply and open up meeting spaces, develop material mutual aid and a common narrative of situations.

Assemblée Féministe Transnationale

Comme le rappelle l’actualité, les discours et les réalités de la guerre imposent immédiatement leurs logiques organisées par la figure de l’ennemi et la nécessité des alliances (l’ennemi de mon ennemi devenant mon ami), écrasant du même coup des champs sociaux traversés par une multitude de luttes, dont celles des femmes et minorités de genre.Appel pour le 27 janvier

La synthèse formant le communiqué est issue de la discussion d’un groupe de travail relevant les points forts de la rencontre.

La troisième rencontre de l’assemblée féministe transnationale qui s’est tenue le 27 janvier dernier à l’EHESS à Aubervilliers a réuni plus de 70 participantEs de différentes villes, pour une première rencontre du cycle 2024. L’assemblée était articulée autour de trois temps : une table ronde sur les résistances féministes en temps de guerre en Palestine, en Syrie et au Soudan, avec Lana Sadek, Rindala et Mona Basha, animée par les camarades iraniennes et ukrainienne Rezvan Zandieh et Daria Saburova.
Quatre groupes de travail ont suivi la table ronde : évènements et réseaux, synthèse et cycle 2024, le 8 mars et un groupe d’atelier d’écriture. L’assemblée reste en contact virtuel.

Lien des comptes rendus précédents, ainsi que la charte, tribune et autres articles - publiés sur le blog

Une autre assemblée aura lieu le 4 mai 2024 pour la seconde rencontre du cycle "Féminismes, guerres et impérialismes"

Vous êtes les bienvenuEs !
Restez à l’écoute !

@assfemtransnat

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