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Causes et effets d’une rentrée aux senteurs islamophobes. Le discours sur la menace « fondamentaliste »

Le « droit d’être islamophobe » proclamé par le philosophe Henri Peña-Ruiz à l’université d’été de la France Insoumise en avançant la nécessité de distinguer le rejet de l’islam et le rejet des musulmans, accrédite une nouvelle fois l’idée d’une liberté de critique des religions menacée. La déclaration mensongère du ministre de l’éducation sur la non scolarisation des fillettes « musulmanes » en raison du « fondamentalisme islamique » qui gangrénerait certains territoires, ajoute enfin la touche angoissante d’une société menacée dans ses fondements et ses valeurs par un « ennemi de l’intérieur » disposant d’appuis internationaux.

La laïcité vestimentaire

A trois reprises ces dernières semaines des groupes de femmes décident de se baigner en « Burkini » pour protester contre la multiplication des règlements intérieurs leur interdisant l’accès à ces lieux de loisir. Immédiatement le premier ministre déclare « il y a des règles sur les tenues qui sont celles qui doivent être utilisées pour venir se baigner. Et aucune conviction religieuse ne peut venir faire obstacle au respect de ces règles, il faut être ferme avec ses règles ». La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye condamne pour sa part l’action d’ « associations à caractère communautariste ». Pendant plusieurs jours nos médias se font dès lors l’écho de discours présentant ces militantes comme refusant les « règles » communes de la République. Or les règles vestimentaires définies par la loi ne prennent en compte à juste titre qu’un critère : l’hygiène et la sécurité. Voici ce qu’en dit un guide publié en mai 2019 par le ministère des sports :

Les personnes fréquentant ces bassins peuvent être considérées comme des usagers du service public vis-à-vis desquels il n’existe pas de législation restrictive quant au port d’une tenue qui s’apparenterait à un motif religieux. En d’autres termes, la manifestation de la liberté de conscience prime tant qu’elle ne trouble pas l’ordre public. […] Des règles qui imposeraient le port d’une tenue adaptée à la pratique sportive, en visant directement ou indirectement l’interdiction du port du burkini, ne pourraient être légales que sur la base de raisons objectives telles que l’hygiène et/ou la sécurité, mais aussi démontrables afin de ne pas aboutir à une discrimination indirecte pour des raisons religieuses[i].

A aucun moment il n’a été question dans ces actions militantes de refuser des règles d’hygiènes (telle que l’obligation de prendre une douche avant l’entrée dans la piscine ou l’interdiction de certains tissus par exemple). Ce qui est contesté c’est l’amalgame généralisé entre un vêtement et l’absence d’hygiène qui fait glisser subrepticement l’interdit d’un champ à un autre, de l’hygiène des tenues à la discrimination des porteuses d’une certaine tenue. Comme il fallait s’y attendre ce nouvel épisode a suscité la mobilisation de la facho-sphère avec l’habituelle reprise de certains de ses arguments dans un champ plus large. Parmi ceux-ci celui d’un comportement « sécessionniste » ou « isolationniste » entravant le fameux « vivre ensemble » a été particulièrement avancé. Le magasine Causeur titre ainsi un de ses articles « Burkini : L’islam séparatiste à l’assaut des piscines[ii] ». Des femmes exigeant de pouvoir aller dans des lieux communs sont ainsi présentées comme « séparatistes ». Etrange logique que celle d’un « vivre ensemble » interdisant l’accès aux espaces publics. Après la valse des arrêtés municipaux interdisant le port du « Burkini » sur les plages d’il y a quelques années (Cannes, Villeneuve Loubet, Sisco, le Touquet, etc.), nous avons à faire aujourd’hui à la valse des règlements intérieurs interdisant de nouveau l’accès à un espace public. La succession des interdits vestimentaires contribuent concrètement à distiller toujours plus fortement les images d’une population rétive aux règles communes, d’une religion contradictoire avec le « vivre ensemble », et d’une menace grandissante issue d’une offensive « fondamentaliste ». Comment s’étonner alors que cette « islamophobie par le haut » finisse par engendrer une « islamophobie par le bas » c’est-à-dire au sein d’une population française déjà déstabilisée par la précarisation généralisée des conditions d’existence.

Les mensonges essentialistes d’un ministre

Le 31 août c’est au tour du ministre de l’éducation nationale d’apporter sa contribution à la banalisation de l’islamophobie. Abordant la question de la déscolarisation dans les écoles maternelles, il déclare :

« Il y a plus de filles que de garçons qui ne vont pas à l’école maternelle pour des raisons sociétales […] Et appelons un chat un chat, le fondamentalisme islamiste dans certains territoires a fait que certaines petites filles vont à l’école le plus tard possible[iii]. » L’affirmation est tout simplement un mensonge comme en témoigne le rapport de l’éducation nationale sur la fréquentation des maternelles en 2018 soulignant que 50.3 % des élèves de 2 ans sont des filles[iv]. Malgré le démenti des données statistiques, le ministère de l’éducation nationale persiste en soulignant que le ministre parlait de « certains quartiers, certaines zones » et non une réalité nationale sans avancer bien ses sources. « Ce n’est pas quelque chose de statistique, et même si ça concerne une dizaine de filles et pas des milliers ça doit évidemment faire partie des choses auxquelles on fait attention » énonce le ministre en annonçant « un point sur la laïcité à l’école d’ici fin septembre[v] ».

Nous sommes ici en présence d’un idéaltype de la logique essentialiste. La situation de quelques fillettes est généralisée à des « quartiers », des « zones » et des « territoires » entiers. Elle est en outre référée à une causalité unique : le fondamentalisme islamique. Le résultat d’une telle logique est sans surprise : le renforcement de l’image d’une société menacée dans certains de ses territoires par un danger « fondamentaliste islamique » rendant nécessaire un sursaut collectif et unitaire. Notre école va tellement bien que, le ministre a le loisir de se préoccuper du sort d’une « dizaine de filles ». Les autres problèmes de l’éducation nationale sont si minimes qu’il a le temps de se pencher une nouvelle fois sur la laïcité. La « laïcité » et/ou le « danger fondamentaliste » sont réellement devenus des « débats-écran » facilement mobilisables pour détourner l’attention vers d’autres questions que celles qui dévoilent les véritables problèmes sociaux et politiques. Dans un livre de 2004 nous soulignons déjà que la logique enclenchée par la « loi sur les signes religieux dans les écoles publiques » installait une « boite de pandore » que l’on pourrait ouvrir à loisir pour des préoccupations tactiques :

La loi pose un abcès de fixation qui ne peut que remettre régulièrement sur le devant de la scène les populations issues de la colonisation comme « ennemi de l’intérieur » menaçant pêle-mêle la République, la laïcité, l’Identité nationale, etc. Les métastases du débat de cette année se multiplieront, réenclenchant le même film, suscitant les mêmes propos véhéments, produisant les mêmes résultats en termes de stigmatisation d’une partie du peuple de France caractérisée par son origine, elle-même réduite à une unique dimension religieuse[vi].

SI la facho-sphère est devenue très efficace pour rouvrir régulièrement cette boite de pandore, la déclaration de notre ministre souligne qu’elle n’est pas la seule à connaître son mode d’emploi.

retrouver la suite « Le droit d’être islamophobe » de la France Insoumise
L’odeur nauséabonde des municipales

et les notes de bas de page sur le blog :

https://bouamamas.wordpress.com/2019/09/12/causes-et-effets-dune-rentree-aux-senteurs-islamophobes-le-discours-sur-la-menace-fondamentaliste/#more-470

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