Salut à toi.
Samedi 14 Août. Valence, préfecture de la Drôme. Il est midi passé, nous sommes six à rejoindre deux ami.es déjà dans le cortège de la manifestation contre le pass sanitaire. Il y a plusieurs milliers de participants.
De loin on pourrait presque croire à une manifestation nationaliste. Pléthore de drapeaux bleu blanc rouge et régionaux.
Des fleurs de lys, des croix de Lorraine, certaines avec le V de la Résistance. La résistance aux nazis. A la croix gammée.
Les gens crient Liberté ! Verité !
Le cortège nous rejoint. Nos deux ami.es aussi. Sourire de soulagement sur leurs visages. Ils nous indiquent un groupe de plusieurs personnes qui les suivent depuis le départ. Traquer, c’est le terme plus exact. Qui correspond à ce qu’ils vivent depuis plusieurs dizaine de minutes. C’est le terme qu’ils emploient. Ils ont été filmés aussi. Par une jeune femme dont le look (skingirl) ne laisse aucun doute sur ses choix politiques. L’un des hommes de ce groupe porte un t-shirt noir Virage Sud Lyon. Il a une guillotine tatouée sur le mollet. Un autre a un soleil noir tatoué sur l’avant bras. Entrelacs de croix gammée.
On repère plusieurs groupes d’hommes, lunettes noires pour beaucoup, élément de tenue militaire pour certains, qui vont et viennent le long du cortège. De temps à autre, un homme plus âgé se déplace d’un groupe à l’autre, s’arrête pour échanger deux mots avec un porteur de drapeau régional au milieu du cortège.
On reste groupés.
Nous sommes là parce que l’un d’entre nous, présent à la précédente manifestation, nous a alerté sur la présence de petits groupes, gants coqués, drapeau bleu blanc rouge sur manche de pioche, clairement d’extrême droite. C’est les vacances, nous sommes 8 à nous être déplacés.
Le cortège s’arrête dans une des rues piétonnes. Des rues marchandes serait plus juste. Devant le H&M. Nous sommes rapidement rejoints par un groupe d’une quinzaine de fascistes. Les visages de certains de nos ami.es sont connus. Ils étaient là quinze jours avant et ont fait partie de celles et ceux qui ont chanté Bella Ciao sur les marches de la préfecture. De celles et ceux qui ont empêché les fascistes par leur présence plus nombreuse de prendre la tête du cortège.
Le plus grand du groupe, celui au t-shirt de hooligan lyonnais s’approche de nous. Son souffle est court et haut, il est saturé d’adrénaline. Ou d’autre chose. Ses acolytes sont derrière et autour. Le mur du grand magasin est derrière nous.
Nous sommes en plein milieu du cortège, entouré de gens qui crient Vérité ! Liberté !
Il commence par quelques agressions verbales au sujet du t-shirt de l’un d’entre nous. 1312. Lui même porte quelques inscriptions de ce type sur son t-shirt de hooligan fasciste. Il insulte une amie. Sale pute gauchiste. Puis des crachats. Et tous s’y mettent : coups de ceinturon, coups de poing, coups de pieds, coups de bâton. Ceux sur lesquels sont montés les drapeaux bleu blanc rouge.
Un autre dans élan de bravoure lance un coup de pied dans le vide, retranché derrière la ligne formée par les plus balèzes. Coup de pied qui finit dans un poteau en métal. Un autre encore plus téméraire frappe par derrière un ami à la tête. L’un de nous arrête de justesse avec son bras un coup de bâton prévu pour son crâne. Un de nos amis se relève par miracle au moment où un violent coup de pied vise sa tête. La casquette coquée d’un ami vole sous un coup de bâton. Leurs regards sont haineux, je pense à des chiens enfermés. Je pense aussi au regard de ce flic entrevu sous le casque qui nous matraquait les mains et les bras à la COP 21. Regard de peur et de haine.
Ça a duré à peine deux minutes. Un vide dans la manifestation s’est crée tout autour de nous. Le cortège repart et les fascistes s’éloignent rapidement vers la tête du cortège. On fait le bilan. De la peur. Des bosses. L’ami a le bras qui enfle. Le soir même à l’hôpital il se fera plâtrer. Fracture du cubitus. Il est boulanger. Il ne pourra pas faire son pain pendant 6 semaines.
Quelques personnes viennent nous voir. Des gens d’une soixantaine d’années. Ils nous enjoignent de rester avec eux. De ne pas répondre à la violence. Ils ont l’air sympathiques.
L’un d’entre nous prend la parole et s’adresse aux manifestants autour. Que nous venons toutes et tous d’être témoins de ce qu’est l’extrême droite, de ce qu’elle fait.
On entend fuser : « Ah oui et toi ? T’es quoi ? ». Et encore : « On sait bien que c’est l’extrême gauche la plus violente ! ».
Plus tard il entendra une dame âgée remarquer à voix haute que la présence d’autant de drapeaux bleu blanc rouge la dérange. Que c’est trop nationaliste.
Toujours guettés par de petits groupes de fascistes qui ne cessent d’aller et venir autour du cortège, on décide de quitter la manifestation avant la fin. On profite d’un moment de répit pour sortir. Nous sommes accompagnés par un petit groupe de trois ou quatre antifa locaux. Ils nous expliquent que c’est les vacances, les autres ne sont pas là. On les quitte en se souhaitant mutuellement de faire attention. Ainsi qu’aux trois personnes de la CNT locale qui étaient présentes dans la manifestation.
On se retrouve plus tard ailleurs pour boire un verre dans un café qui ne nous demande aucun pass sanitaire. On est toutes et tous choquées, on s’enquiert tous.tes de savoir comment chacun.es va. On fait même quelques blagues.
On se retrouvera dans quelques jours pour la suite.
D’aucuns diront que nous sommes allés au carton.
D’autres diront qu’il fallait être là.
Personnellement et au-delà de cette agression fasciste, au-delà du vide intersidéral des forces de gauche pour cause de mois d’Août, je n’ai pas eu la sensation d’être en pays ami à Valence dans cette manifestation.
Comme le soulignent certaines personnes dans des tribunes ici et là, reste à se poser la question d’une revendication uniquement centrée sur le vaccin et le pass sanitaire, désolidarisée de toute autre question de justice sociale et environnementale.
Reste à se poser la question de savoir si l’ensemble hétéroclite de manifestants présents ne souhaite pas tout simplement rentrer chez eux une fois le pass sanitaire retiré et reprendre le cours normal des choses.
Reste à se poser la question de la pertinence de notre présence dans ces manifestations, au-delà du combat contre l’extrême droite.
Reste à se poser la question de savoir si j’en ai quelque chose à foutre de pouvoir retourner au restau, au bar, prendre l’avion, aller poser mes fesses dans un cinéma payant ou au théâtre, ou consommer dans un centre commercial de plus de 20 000 m².
Et en tirer toutes les conséquences.
Je plains celles et ceux qui ont une vision si peu créative de la vie.
Reste à se poser la question de savoir si ce pass sanitaire, en rendant illégal tout ce qui fait la vie, à savoir se retrouver où l’on veut, avec qui on en veut, quand on veut, pour faire ce qu’on veut, n’est pas la plus grande chance qui nous est donné de changer les choses, de créer autre chose.
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