BASH LA BAF BACK
Début juin j’ai taggé la façade du vénérable et puissant lieu cis-féministe La BAF à Grenoble.
« enbyphobe transmisogyne cissexiste
BASH la BAF BACK »
Il paraît que ce n’est pas le bon moyen. J’utilise pas les bons moyens, pas les bons mots, pas la bonne forme, j’ai mal compris les concepts, pas bien interprété tel évènement. Marrant comme les féministes cis évitent toujours d’écouter les trans qui les remettent en question. Marrant comme elles se croient plus capables que nous de comprendre nos expériences, nos vies, nos luttes, le langage qu’on utilise pour parler de l’oppression qu’on subit. Marrant comme elles critiquent le mansplaining mais n’hésitent jamais à faire du cissplaining.
Marrant ? Pas tant que ça. Je ris de la domination cis pour ne pas en crever. J’ai passé trop de soirées à la BAF à imaginer me pendre dans les chiottes pour leur faire comprendre quelque chose. Je sais pourtant bien ce qui se passerait. Elles regretteraient la mort d’une femme trans parce que c’est politiquement correct de le faire quand on se dit trans-inclusive, « transpédégouine », et parce qu’elles en ont besoin pour soulager leur conscience, pour se faire croire qu’elles sont du « bon côté ». Le manarchiste critique les autres mecs macho pour défendre ses propres privilèges masculins ; les féministes cis radicales critiquent la société cissexiste pour maintenir leurs propres privilèges cis.
Je vais pas faire de la pédagogie pour des gens qui n’écoutent pas. J’utilise les moyens qui me plaisent pour combattre l’oppression que je subis.
J’ai taggé la BAF pour plusieurs raisons :
Pour me faire du bien, surtout. En X temps à Grenoble, j’ai trop souffert, et mon illusion que ce mi/lieu pouvait être changé m’a rendu trop vulnérable. Il était temps de passer à l’offensive, et de m’amuser.
Pour acter ma rupture avec le féminisme cis-centré et envoyer un message. Les féministes cis bénéficient de la domination cis et se battent pour maintenir leurs privilèges partout où elles agissent, y compris dans le milieu qui se dit « transpédégouine », dans leurs relations amicales, politiques, sexo-affectives. Les théories et pratiques féministes se sont construites sur notre exclusion et l’invisibilisation de nos vécus. Elles participent à notre isolement, à notre humiliation, au déni des oppressions que nous vivons. Les féminismes cis ont leur part de responsabilité dans la reproduction du cis-patriarcat. On serait moins nombreu.x.se.s à être isolé.e.s, dépressi.f.ve.s, suicidaires, si on avait accès à des espaces et des milieux féministes sans craindre ces violences.
Pour briser le tabou de l’intouchabilité des féministes cis (en tout cas des féministes cis blanches). En tant que trans féministe, si on veut être plus ou moins intégrées dans un milieu cis-féministe, il faut prêter allégeance, critiquer le cissexisme quand il vient de l’état, de la médecine ou des mecs cis, mais surtout pas celui de « nos camarades » ; il faut accepter la hiérarchisation plus ou moins explicite qui prétend que les femmes cis/les personnes assignées meufs qui passent pour meufs seraient les victimes n°1 du patriarcat et le sujet n°1 du féminisme. On nous oblige à rester silencieu.x.se.s par la menace transphobe de la réassignation de genre. Qu’une personne trans critique une féministe cis, cette dernière parlera bien vite de sa « socialisation masculine » ou des effets de la testostérone sur son comportement.. La victimisation des féministes cis et la peur de la répression nous sont bien inculquées, c’est un défi de les dépasser pour comprendre que si elles sont, comme nous et différemment de nous, opprimées par le patriarcat, elles nous oppriment en tant que cis. Combattre la domination cis, construire des puissances transféministes, ça passe par la critique et l’attaque des féministes cissexistes.
Pour combattre mes désirs d’intégration. La BAF est officiellement trans inclusive, c’est-à-dire que les cis y mènent une politique d’intégration des trans. Quand on y va, les cheffes du lieu nous font des sourires et nous disent bonjour, on peut y organiser des évènements, avoir du soutien, de nombreuses récompenses en fait, si on accepte leur cissexisme, la domination cis, la place assignée aux questions trans. La simple idée qu’il faudrait « inclure » les personnes trans dans les espaces féministes montre qui y a le pouvoir, qui veut le garder, qui se sent légitimement féministe.
« On ne remédie pas à l’exclusion par l’inclusion, mais par l’attaque des forces qui excluent. » (in Comment détruire le monde) C’est un message aux cis qui valent la peine qu’on leur parle : je ne vous demande pas de me faire des sourires, mais de lutter avec nous. Intéressez vous à ce qu’on vit, observez les dynamiques de pouvoir et d’exclusion auxquelles vos potes et vous participez, reconnaissez vos privilèges, trahissez la solidarité cis.
Pour ouvrir la parole sur la domination cis en milieu féministe. Des générations de personnes trans, particulièrement transféminines et/ou non-binaires l’ont subie, mais j’en trouve extrêmement peu de traces, et c’est super dur de discuter entre nous, notamment à cause de la culpabilité que le cisféminisme nous fait ressentir en nous soupçonnant explicitement ou implicitement d’être des agents du patriarcat. J’aimerais entendre et voir plein de discussions, de témoignages, de critiques, de textes théoriques et d’actions directes, et encore plus : trouver des complices.
N’hésitez pas à me contacter pour tout ça, pour critiquer ce texte ou pour me cracher dessus (j’adore).
Une fille trans enby en dés/intégration
transdesintegration@riseup.net
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