Ce samedi 11 septembre avait lieu à Grenoble la neuvième manif « contre le passe sanitaire » (en fait un mot d’ordre noyé dans une litanie d’autres selon les tendances...). Laissant de côté nos doutes sur ce mouvement, nous nous y sommes rendus pour deux raisons : Juger sur place des réelles intentions des manifestant·e·s et répondre à l’appel des camarades de gauche agressé·e·s la semaine précédente par les fachos.
L’appel, bien relayé sur les réseaux, semble avoir permis de gonfler (un peu) les rangs du NPA et de ses satellites, des antifa et de la CNT, des quelques autonomes et insoumis… Il y avait aussi les bibliothécaires, des hospitalie·re·s et des cafetiers en lutte contre les mesures qui leurs sont imposées.
On avait là un cortège de 200 personnes (sur 1500), organisé, compact, qui se faisait entendre en portant des revendications sociales (levée des brevets, pour des moyens dans l’hôpital public, contre le contrôle du passe dans les bib.)… OK…
Mais au-delà d’une logique mouvementiste (être partout, tout le temps) sur laquelle se retrouvent depuis un certain temps trotskistes et autonomes, sans trop d’autocritique et malgré l’échec éprouvé depuis longtemps par cette stratégie, il serait bon de prendre le temps et se demander quelle est la place de la gauche dans ces manifs.
Pour alimenter la réflexion, voici quelques faits constatés sur place :
1 L’organisateur autoproclamé de la manif, Pierre-François Marie (qui a déposé en préfecture le parcours et annonce revenir du commissariat où il vient de porter plainte en diffamation contre la CGT), pour son « mouvement » Grelive (simple page facebook au départ, ça interroge aussi...), affiche clairement l’ambiance : Si nous sommes ici, c’est « contre toute mesure sanitaire » (et tout y passe : masque, vaccin, confinement), « pour la vie et le droit à la vie »… Nos oreilles se mettent à saigner et l’assentiment général de la foule alors sur place ne rassure pas. Les cathos intégristes, bien présents, reprennent en cœur…Autre précison : Pierre-François Marie était candidat sur la liste « Union Essentielle » aux dernières régionales, un micro parti tout récemment créé, dont les bases politiques sont un gloubiboulga d’écologie naturaliste, de « démocratie directe » et de complotisme. Sa charte se termine ainsi : « En tant que signataire de la Charte d’Union Essentielle, je m’engage solennellement à en respecter les principes fondateurs, dans la loyauté et l’amour de ma Patrie. » Alors, signataire ?
2 Une fois le cortège parti, ce n’est finalement pas le passe sanitaire qui est mis en cause mais bien le vaccin, dans des discours d’une confusion affligeante, bourrés de contre-vérités (qui ne peuvent pas être discutés puisque la vérité est ailleurs…). La pensée critique en prend un coup, le confusionnisme est de rigueur.
3 Par ailleurs, la tendance ultra majoritaire sur la place, qui se renforcera tout au long du parcours est au bleu-blanc-rouge, qui virera ensuite au brun… Chants patriotiques, chants de la quenelle… dans ce florilège fascisant, on retrouve les « cœurs de Jesus pour le salut de la france » et nombre de pancartes antisémites et complotistes. Civitas et les patriotes n’ont pas sorti leur drapeaux mais sont bien présents, à l’aise… en confiance...
Si l’on s’accorde sur 1500 manifestant·e·s, les 200 camarades ne pesaient effectivement pas lourds… et ce n’est pas aux gilets jaunes Pierre et Marie Cu que l’on pouvait demander des clarifications politiques, quand dans leur rang se trouvaient un militant masculiniste tristement connu arborant une grande pancarte « vaccin maccabre, génocide en marche » sans que personne ne trouve à y redire…
A ce constat, partagé par certain·e·s camarades faisant preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle, on nous répondra : « oui, mais on ne va pas laisser les mots d’ordre de « liberté » aux fachos », « on ne va pas laisser la rue aux fachos ».
Sauf que…
Si ce mouvement a pu si vite être noyauté et aujourd’hui piloté par l’extrême droite, c’est que ses revendications sont, fondamentalement, intrinsèquement réactionnaires et libérales. La « liberté » scandée par la foule est celle du refus d’une politique vaccinale quelle qu’elle soit, donc du refus d’une politique de santé publique, elle est de celles qui nient la communauté au profit de l’individu, c’est la liberté du droit naturel, contre les droits sociaux. Des hommes cis détournant les slogans du type « touche pas à mon corps » sont, au final, une menace sérieuse contre le droit à l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps. On pourra toujours gloser sur le potentiel révolutionnaire de « la » foule, la majorité des pancartes antivaccin, antisémites, pro-vie nous font dire que décidément, leur révolution ne sera pas la notre…
Dans une vidéo publiée le 12 septembre et supprimée depuis par la plateforme, le militant-pour-la-vie Pierre-François Marie dénonce les antifascistes et l’extrême gauche. En revanche, l’extrême droite trouve grâce à ses yeux en ce qu’elle revendique « une certaine souveraineté ».
Il n’y a donc, initialement, aucune base politique commune qui justifie la participation de la gauche à ces cortèges.
Les antivaccins ne sont pas les gilets jaunes…
Le début du mouvement des gilets jaunes a laissé un temps la gauche plus ou moins circonspecte. Même si des dérives souverainistes et racistes ont été observées, la nature sociale de ce mouvement, le « déclassement » et les conditions matérielles mises en avant ont très vite permis une analyse en terme de lutte de classes et une rencontre inédite de forces sociales remettant en cause le système politique et économique. Il n’en est nullement question ici.
Ce mouvement n’est pas le nôtre !
Lorsque l’extrême droite organisait des manifestations contre la PMA/GPA, il n’était pas question une seconde de disserter sur notre éventuelle participation à ces cortèges (même si certains antiféministes, en pensant combattre le transhumanisme, se sont révélés être les alliés objectifs des intégristes de la manif pour tous).
Souvenez-vous, lorsque les bonnets rouges réclamaient la « liberté » de polluer, ou plus avant lorsque les catho organisaient des manifs pour la « liberté » d’enseignement en 84, jamais on aurait imaginé se disputer cette « liberté » là.
Non, ces mouvements doivent être combattus, y compris la confusion qu’ils entretiennent sur leur véritable nature. La responsabilité des forces révolutionnaires de gauche n’est pas « d’en être » mais d’organiser leur propre agenda de lutte, en soutien aux bibliothécaires, en soutien aux hospitalier·e·s pour soutenir les camarades. La lutte contre le contrôle du passe par les bibliothécaires, pour une véritable politique de santé publique dans laquelle on reprendrait un peu de pouvoir et pour la levée des brevets. Ces mots d’ordre ne sont pas ceux défendus dans ces manifs. Et tant mieux si ce mouvement nous échappe, il nous permettra de mieux nous préparer pour les luttes en cours et à venir. Plutôt que de nous greffer sur des mouvements et nous rassurer avec la logique du nombre, ayons un minimum d’honnêteté, de courage et de discernement. Moins nombreux.ses peut-être, mais sur des revendications claires.
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