article relayé d’un blog de mediapart.
A nos amis – vraiment ? Militants de la gauche radicale, vous qui exécrez les violences policières, les discriminations raciales, le capitalisme et les inégalités sociales, l’insurrection vient, oui – mais sans vous. Sous les mots et les bonnes intentions apparaît la posture – et l’imposture. Il y a comme un gouffre entre la théorie et la pratique que ne suffisent plus à dissimuler vos réflexions incisives et vos émois militants, vos engagements et votre bonne conscience. Le (gros) caillou dans la chaussure, c’est la domination qui passe sous vos radars révolutionnaires : celle que vous exercez chaque jour sur vos épouses, vos compagnes, vos amies, vos collègues et comparses de lutte.
Cette domination, vous l’exercez tout d’abord en reléguant les violences sexistes et sexuelles au second plan, dans un avenir indéfini, quand les autres luttes seront gagnées. Si, ne serait-ce qu’un seul instant, vous faisiez l’effort de vous mettre à notre place, assignée à la catégorie femme par la société, vous ne pourriez plus faire de ces questions un sujet secondaire. Comme nous, vous auriez la rage d’être considéré comme subsidiaire. Un combat accessoire, le féminisme ? Vous sous-entendez qu’il y aurait une concurrence entre les luttes et que mettre en avant la question des violences sexuelles et sexistes équivaudrait à passer sous silence la question sociale (ou la question coloniale, etc.). Ne voyez-vous donc pas combien ce discours est méprisant ? Pour les femmes que vous côtoyez (blanches, éduquées, à votre image) bien sûr, mais aussi, surtout, pour les femmes pauvres et/ou racisées, invisibles parmi les invisibles, dont certaines subissent une triple peine : être victimes de sexisme, de racisme et de pauvreté. Cette relégation est non seulement une façon délétère de diviser les luttes mais c’est aussi une négation des mécanismes de la domination : le croisement des situations de vulnérabilité intensifie l’oppression. Vous savez cela, alors pourquoi un tel aveuglement ?
Cette domination, vous l’exercez en second lieu en délégitimant la dénonciation des violences sexistes et sexuelles au nom d’un retour à l’ordre moral (1). Ne ressentez-vous pas un malaise – Malaise dans la gauche radicale – à ce que ce discours converge autant avec celui de personnalités politiques que vous vilipendez par ailleurs – Macron, par exemple, qui, en réponse à ces femmes courageuses dénonçant les agressions sexuelles de Nicolas Hulot et PPDA, s’est inquiété de l’émergence d’une « société de l’inquisition ». En agitant le spectre de la police des mœurs, le message que vous nous envoyez, c’est que parler conforte l’ordre moral (« on ne peut plus rien dire » / « on ne peut plus rien faire ») et la justice d’État. Est-ce conforter l’ordre moral que de chercher l’émancipation ? Par ailleurs, si certaines d’entre nous recourent à la justice, ce n’est pas pour cautionner le système – car, nous aussi, figurez-vous, rêvons d’un autre horizon politique – mais parce qu’elles n’ont pas le choix. Que vous nous rétorquiez avec condescendance que nous devrions plutôt nous tourner vers la justice restaurative (ou transformatrice, etc.) ne fait qu’apporter une preuve supplémentaire des privilèges dont vous jouissez. Il ne s’agit pas de nier l’avancée que pourraient constituer des solutions alternatives à la répression, mais si vous vous couliez une seconde dans nos vies – expérience de pensée que visiblement vous êtes incapables de faire –, vous comprendriez que nous blâmer de la sorte ne fait que confirmer votre arrogante indifférence à notre condition. Car, concrètement, quand on est en danger, là, maintenant, on fait quoi ? Que vous nous reprochiez de recourir à la justice d’État est d’autant plus inaudible pour nous que la justice, jusqu’à preuve du contraire, reste aux mains des puissants et est rarement tendre avec les femmes qui mettent en cause leur agresseur. Il y a par ailleurs de la mauvaise foi à nous accuser d’utiliser un système auquel vous faites vous-même appel quand vous êtes incriminé, acceptant soudain – comme par enchantement – toutes les compromissions avec le pouvoir honni. Vous pourriez donc y recourir, mais pas nous. Décidément le double standard est la règle.
Cette domination, vous l’exercez enfin, et c’est bien sûr le pire, en vous autorisant des attitudes et comportements sexistes et violents puis en minimisant les faits et/ou en usant du mécanisme de l’inversion de la culpabilité. De tel « star » de la gauche radicale accusé d’agressions sexuelles à tel sympathisant écopant de plusieurs mois de prison avec sursis pour violences conjugales, le spectre est large. Vous rétorquerez qu’il s’agit d’exceptions. Peut-être. Mais la solidarité de genre que vous manifestez à ces occasions, elle, n’est pas rare : c’est même la norme. Soit vous détournez le regard, ça ne vous regarde pas. Soit vous laissez entendre que c’est une affaire montée en épingle, que la victime exagère – la figure de l’hystérique, qui devrait être aussi éculée et insoutenable que la figure de Banania, a malheureusement encore de beaux jours devant elle : toujours ce deux poids, deux mesures… Pire vous vous mobilisez pour soutenir l’agresseur, jusqu’à activer vos réseaux militants. Cette solidarité entre dominants, vous la conspuez lorsqu’elle émane des élites au pouvoir – quand c’est la vôtre qui est en jeu, votre réquisitoire soudain fait défaut. Ce que vous ne voulez pas voir, c’est qu’à votre échelle, militants en rhizomes cherchant à essaimer les ZAD, vous ne faites que répandre le vent de l’impunité générale des représentants de l’ordre patriarcal – fissures dans les nouvelles façons d’habiter le monde. Bien plus, vous ne semblez ressentir aucune empathie concernant les violences faites aux femmes. Pour nous qui sommes concernées au quotidien, cette absence de compassion provoque un cri, un écœurement, une colère. Les victimes s’enfermeraient dans une spirale victimaire ? Ce que nous constatons, c’est la grande force de celles qui témoignent alors que les agresseurs, au contraire, cultivent une position de souffre-douleur, de bouc-émissaire, de martyr.
Cataloguer comme réactionnaires des femmes qui luttent pour leur libération : comment expliquer que vous arriviez à ce point à déformer la réalité ? Nous ne sommes pas naïves : nous ne pensons pas qu’il s’agit d’un égarement, d’une perte de lucidité passagère, voire d’une erreur que vous seriez prêts à corriger. Il nous semble plus clairement que relégation, délégitimation, inversion de la culpabilité, minimisation des faits sont des stratégies visant à nous faire taire.
Pourquoi ? Parce que vous avez peur. Vous tremblez de perdre vos privilèges – le couple, l’hétérosexualité, bobonne à la maison, c’est confortable, n’est-ce pas ? Petits chefs domestiques, vous redoutez le désert d’un monde privé des commodités (sexuelles, affectives, émotionnelles, organisationnelles…) procurées par vos femmes, compagnes, amies... Est-ce parce que – transfuges de classe, blancs, éduqués, pour la plupart – vous n’accéderez jamais aux véritables postes de pouvoir – ce pouvoir qui continue à vous faire rêver, encore, toujours, si compatible en réalité avec le romantisme révolutionnaire dont vous êtes pétri ?
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