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Le piège de la posture

23 mars 2025. Aujourd’hui, le racisme n’est plus. Car hier, nous avons marché. Encore.
À Grenoble comme ailleurs, le peuple militant a joué sa partition annuelle, une marche rituelle pour conjurer l’oppression. Un exorcisme de convenance. Et puis, on range les banderoles, on se serre la main, et l’on se donne rendez-vous pour le prochain équinoxe. Comme si marcher suffisait à désarmer un pouvoir qui, lui, ne fait jamais de pause.

Mais ce théâtre militant n’est pas une tragédie : c’est une farce. L’Occident, coupable d’avoir édifié un système raciste tentaculaire, se donne bonne conscience en battant le pavé. Un messianisme paresseux, une culpabilité qui se met en scène plutôt que de s’engager.

Pendant ce temps, le racisme mute. Il apprend, s’adapte, se perfectionne. Tandis que ses adversaires, eux, répètent inlassablement les mêmes gestes vides. Quatre mille personnes à Grenoble pour un impact aussi fragile qu’un tract abandonné sous la pluie.

Il faut dire la vérité : nos méthodes sont mortes. Elles ne font plus peur à personne. Le pouvoir l’a compris. Il a senti l’épuisement du corps social et, comme tout prédateur, il attaque là où le muscle est devenu mollesse.

Pour espérer, il faut d’abord oser. Oser regarder nos impasses, nos aveuglements, nos rituels creux. L’un de ces obstacles porte un nom : la posture. Ce théâtre de l’engagement sans mise en danger. Cette scène où l’on joue à être radical tout en veillant à ne jamais perdre ses privilèges.

À Grenoble, la posture a pignon sur rue. Elle rédige, publie, commente. Elle produit des textes comme d’autres produisent des tracts publicitaires. Elle parle de tout, surtout pour éviter de faire. Elle écrit sur le racisme sans jamais le risquer. Elle soutient la Palestine avec des mots, mais jamais avec des actes.

Ils veulent être militants sans se salir. Mais se salir est une nécessité historique.

Changer de forme, ce n’est pas renier la lutte, c’est lui rendre sa dignité. Une mère de famille n’a pas le luxe d’assister à trois conférences par semaine. Et même ceux qui ont le temps n’ont plus l’énergie. La lutte doit retrouver le souffle du réel.

Pendant ce temps, le racisme institutionnel gagne du terrain. Il s’est rebaptisé : “lutte contre l’immigration”, “sécurité”, “narcotrafic”. Les mêmes fantasmes, le même ennemi : le corps racisé.

La police tue. Et ce n’est pas une bavure, c’est une doctrine. La justice ne condamne pas, elle couvre. Et dans ce contexte, à Grenoble, le maire soutient un génocide. Pas dans l’ombre, non : publiquement. Et cela ne soulève pas plus qu’un haussement d’épaule. Pire : ceux qui dénoncent cela sont taxés de radicaux.

Le Parti Communiste, à Échirolles, réclame un commissariat. La police déjà là tire sans sommation, harcèle, humilie. Et c’est à nous qu’on demande d’être unis ? Unis avec qui ? Avec ceux qui nous désignent comme suspects avant même qu’on parle ?

Il ne faut pas compter sur les partis pour faire un pas dans notre direction. C’est sur nos propres forces qu’il faut compter.

Il faut rompre. Briser ce lien toxique avec des organisations qui ont fait de la trahison leur norme. Refuser les alliances qui nous tuent. Cesser de parler au nom d’une unité qui nous invisibilise.

Car la politique n’est pas un débat sur Twitch. Ce n’est pas une conférence dans une salle municipale. C’est une bataille pour l’autonomie. Pour la vie. Et cette bataille se mène ici, dans nos quartiers. Pas dans les tracts qui s’auto-félicitent.

Nous n’avons plus le luxe de la courtoisie. Nous avons des morts. Des mutilés. Des humiliés. Et tout cela appelle un changement radical, non de ton, mais de direction.

Mais alors que faire ?

D’abord, reconnaître que la marche annuelle n’est plus qu’un cérémonial d’expiation, un simulacre de lutte. Elle lave les consciences, mais ne déplace rien. Elle occupe nos week-ends, pas le terrain. Elle donne à voir, mais ne fait pas voir ce qui doit être vu : la stratégie des dominants et l’absence de la nôtre.

Il ne s’agit plus seulement de critiquer. Il faut trancher.

Nous devons rompre avec les appareils traditionnels, ces organisations politiques qui se revendiquent de notre camp mais qui, dès qu’il faut choisir entre les opprimés et les institutions, choisissent le fauteuil. Le Parti Communiste, à Échirolles, veut plus de police. La France Insoumise, à Grenoble, se tait. Et pendant ce temps, la mairie de Ecologiste s’accroche à un État qui génocide en feignant de reconnaitre la souffrance des colonisés.

Il faut donc nommer les choses. Clairement. Ce ne sont plus des camarades. Ce sont les rouages d’un système qui se blanchit à force de postures. Des fonctionnaires de l’inaction. Des médiateurs entre notre colère et les oreilles sourdes du pouvoir.

Rompre, ce n’est pas fuir. C’est construire ailleurs.

Créer ce qui n’existe pas. Non pas un énième comité de rédaction de tracts ou un cercle d’étude sur les violences d’État, mais des structures ancrées dans la vie quotidienne, capables de répondre à nos urgences et de penser au-delà de demain.

Des comités locaux d’auto-organisation. Pas pour gérer ce que l’État abandonne, mais pour le remplacer là où il tue.

Des espaces pour :
• Soutenir les familles de victimes de violences policières
• Documenter, archiver, exposer l’impunité
• Former à la résistance locale : blocage, occupation et désobéissance
• Créer de la solidarité concrète : Caisse de soutien, défense juridique.

Parce que si nous ne nous occupons pas de nous, personne ne le fera. Parce que si nous n’élevons pas un front populaire, ce ne sont pas les marches qui construiront un avenir.
Et surtout, il faut rompre avec la logique de l’événement. Ne plus se contenter de réagir. Il nous faut des campagnes offensives, coordonnées, précises. Le racisme n’est pas une fatalité, c’est une stratégie. Il faut lui opposer une autre stratégie.

À Grenoble, à Échirolles, à Fontaine… Ce que nous avons, c’est un terrain. Ce que nous avons, c’est une mémoire. Ce que nous avons, ce sont les humiliations partagées, les blessures communes. Ce que nous avons, c’est un peuple. Ce que nous n’avons pas encore, c’est une stratégie populaire de libération.

Il est temps de cesser de quémander une place dans la maison qui nous écrase.
Il est temps de construire une autre maison.

https://www.mesopinions.com/petition/justice/ouverture-commissariat-echirolles/237527
https://www.mesopinions.com/petition/politique/stop-jumelage-grenoble-rehovot/227702

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