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Deux ou trois choses sur l’inceste

DEUX OU TROIS CHOSES SUR L’INCESTE

La récente publication d’un roman autobiographique dénonçant l’inceste (La Familia grande de Camille Kouchner) commis par Olivier Duhamel a replacé l’inceste sur la scène médiatique, tant dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux où est née une vague de dénonciations par des personnes ayant été victimes de ces violences. L’épidémie de covid 19 et la réponse qui lui a été donnée, le confinement quasi-généralisé de la population pendant lequel de nombreux enfants se sont retrouvés obligés à rester à leur domicile, a visibilisé et exacerbé les violences subies par des enfants dans leurs familles.

L’INCESTE, UNE VIOLENCE SYSTÉMIQUE

Toutes ces révélations ne sont pourtant pas les premières. Leur caractère inédit peut être tout à fait relativisé et laisse une impression d’hypocrisie et/ou d’amnésie collective sur la question de l’inceste. Le sensationalisme et le voyeurisme liés à ces « affaires » ont une part évidente dans leur médiatisation. En France ce sont en effet deux à trois enfants par classe qui seraient concerné.e.s à l’école élémentaire ; une estimation certainement basse situe autour de 10 % la part des personnes ayant subi des violences sexuelles durant l’enfance.
Nous sommes des personnes concernées et par ce texte nous voulons visibiliser le caractère systémique de l’inceste, les oppressions qui le traversent et réfléchir aux réponses à y donner. La contrainte d’un tract nous empêche malheureusement de développer plein d’aspects qui nous semblent importants, il est donc clair qu’ici nous ne parlerons pas de toute la diversité des vécus liés à l’inceste et qu’il restera beaucoup à dire.
Nous sommes parties du constat que si la famille est souvent présentée comme un espace de refuge et de solidarité face à une société capitaliste, elle est aussi un lieu où s’initient de nombreuses dominations et violences. Ces violences s’étendent par la suite à d’autres aspects de la vie en société dans un système patriarcal. On rappelle que si dans la majorité des cas ce sont les conjoints qui frappent leur conjointe, ce sont aussi une grande majorité d’hommes qui agressent sexuellement des mineur.e.s dans leur famille nucléaire ou élargie (autour de 95%).
Nous constatons par ailleurs, au regard du lien qui unit les incesté.e.s et les incesteurs, que les rapports structurels de domination dans les milieux scolaires, sportifs, d’aide sociale à l’enfance, etc. sont du même ressort que ceux qui s’exercent au sein de la famille biologique : dans toutes ces situations, de façon quotidienne, ce sont des personnes dépendantes d’adultes en qui ils ont confiance qui sont amenées par la force physique ou la persuasion à avoir des rapports sexuels avec des personnes qui les dominent. De la même façon que l’on parle d’une culture du viol ces faits montrent que notre société est traversée par une culture de l’inceste qui touche aussi les institutions directement en lien avec les enfants.
L’inceste est présenté comme un phénomène soi-, disant tabou, hors du commun, de l’ordre de la maladie psychiatrique. Il est présenté comme une émergence ponctuelle du Mal, moralement condamnable : les « monstres » que l’on pointe du doigt et dont la purge par la judiciarisation libérerait la société de ses criminels (par enfermement à perpétuité et mort sociale). Ils deviennent,alors des exutoires publics qui permettent de se débarrasser en apparence du problème tout en ne questionnant pas l’origine, du phénomène, sa banalité et son caractère systémique.
Nous pensons que les récentes lois et propositions soumises par l’état pour la protection des enfants (ex : loi sur l’âge du consentement) ne sont que de la poudre aux yeux, comme à chaque fois. La réponse de l’état à la violence de l’inceste est en réalité toujours la même : la voie judiciaire et carcérale.

INCESTE STRUCTUREL, RACISME STRUCTUREL

Nous sommes féministes anticarcérales pour diverses raisons mais la principale est que le milieu pénal est profondément raciste et classiste. La justice à laquelle on demande de la répression contre les violeurs est la même justice qui condamne toujours les mêmes catégories de population (jeunes, racisé-es, sans-papiers, de classe populaire, etc...) aux mêmes punitions brutales, avec la même et toujours dans le même but : perpétuer le système. Un système d’hommes blancs, riches, solidaires entre eux et avec beaucoup de pouvoir. La justice n’est pas notre alliée.Aujourd’hui, nous faisons aussi le constat que l’ASE (l’aide sociale à l’enfance), sensée protéger les mineur.e.s, place au centre du viseur les personnes racisées et de classe populaire. Il n’est plus à prouver que cette institution est sclérosée par le racisme structurel. Le traitement de l’ASE envers les personnes descendantes de la colonisation est plus dur qu’avec le reste de la population. C’est aussi une institution très ambivalente. Les enfants racisé.e.s souffrent d’un concept que Fatima Ouassak nomme "Désinfantisation" (considérer des enfants racisé.e.s comme étant adulte, les traiter aussi durement que leurs parent.e.s). Parfois leur sort peut être totalement ignoré ou occulté, notamment celui des adolescent.e.s incesté.e.s. Certains professionnels peuvent par exemple partir du principe qu’à 14 ans une enfant racisée peut être consentante car elle est perçue comme une adulte. Ou dire des choses telles que : « l’inceste est très présent dans la culture Roms ou Arabe ». Alors qu’il y a bien une chose dont nous sommes sûres : tout comme le patriarcat, la culture de l’inceste est présente dans toutes les classes sociales, toutes les sociétés et tous les pays du monde.
Nous redoutons que ces nouvelles dispositions ne fassent qu’augmenter le nombres de signalements injustifiées envers les personnes racisées. Nous craignons des possibles dérives et instrumentalisations fémonationalistes (utilisation du féminisme à des fins répressives et racistes notamment), et que les personnes les plus surveillées et punies soient en grande partie des hommes racisés, comme cela a pu être le cas avec la création du délit de « harcèlement de rue ».
Enfin, lorsqu’on est une personne racisée subissant de l’inceste, il est parfois impossible de parler et de briser le silence car les enjeux ne sont pas des moindres. Parler c’est risquer la rupture familiale.
Dans ce pays, pour faire face au racisme ambiant, la famille peut être une ressource précieuse.
Dénoncer c’est mettre cette protection et cet équilibre en danger. Ça veut aussi dire qu’on risque de perdre ses racines, ses langues et qu’on se retrouve seul.e face à un pays qui nous déteste. De plus, parler de ce que nous vivons à des personnes blanches c’est possiblement s’exposer à des réactions racistes.

SORTIR DU FÉMINISME CARCÉRAL

Soyons claires : nous ne condamnerons jamais une personne victime d’agression qui décide de porter plainte. Nous comprenons intimement la nécessité de se sentir écouté.e, cru.e, compris.e, en sécurité. Il ne s’agit en aucun cas de juger les stratégies individuelles de chacun.e car il est évident qu’on fait comme on peut avec les outils disponibles pour affronter la situation. Par contre, nous accusons la justice, la police et la prison, en un mot l’état, de se poser comme intermédiaire obligatoire, omniprésent et totalitaire dans les affaires de violences et de nous déposséder de nos vécus.
Pour toutes ces raisons, nous comprenons l’appel des associations de victimes à des lois plus protectrices. Mais pour toutes ces raisons nous pensons qu’il est indispensable de comprendre l’impact concret de telles lois sur les personnes ciblées par le système judiciaire et carcéral. Les luttes féministes n’ont donc aucun intérêt à aller sur le terrain punitif et ont tout intérêt à s’émanciper du système pénal.
Ce n’est pas de l’angélisme. Nous savons que la violence est quotidienne, le viol banal, le silence écrasant. Nous ne le savons que trop bien. Mais nous considérons que l’état ne nous protégera pas de l’inceste et plus généralement du patriarcat. D’une part car la justice poursuit avant tout des délits économiques et que les prisons ont historiquement toujours servi à protéger le capitalisme et l’impérialisme. D’autre part car il n’y aura jamais de tribunaux et de prisons assez grandes pour punir tous ces actes : si 1 femme sur 3 a vécu des violences dans sa vie, c’est qu’il y a bien un agresseur derrière chaque agression ; alors, franchement, quel est le projet ? Les enfermer tous ?! Et donc, qu’est-ce-qui est le plus réaliste, pour nous féministes ? La gestion punitive des violences patriarcales ou considérer sérieusement d’autres stratégies pour y faire face ?
Ces alternatives à la justice pénale existent. Elles ont été réfléchies par des communautés qui ne pouvaient se permettre de faire confiance à la police et à la justice (communautés autochtones et Noires en Amérique du Nord, communautés LGBTQIA+) et qui se sont organisées concrètement pour prendre en charge, sans l’état, les violences patriarcales.
Il est tout à fait possible et, de notre point de vue, urgent, de faire mieux que la police et la justice.
En tant que féministes, on peut faire mieux, on doit faire mieux.
Des féministes en lutte contre l’inceste et son monde

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