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Répression suite aux nuits d’émeutes

Répression suite aux nuits d’émeutes

Le 30 juin, un appel à rassemblement a été lancé, en réaction à la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre. A grenoble comme partout en France, le rassemblement a été interdit par la préfecture. S’en est suivi une nuit d’émeutes populaires, réunissant jeunes de quartiers, militant.es antiracistes, et tout simplement des personnes révoltées par ce meurtre de plus, symptôme d’une violence raciste systémique. Solidarité avec les interpellé.es !

Article écrit avec les collectifs Salle5 et Car38

Des "mesures exceptionnelles pour une situation exceptionnelle" avait annoncé un journaliste du daubé et proche du procureur de grenoble. Suite à la nuit d’émeutes du 30 juin au 1er juillet, qui a vu près de 40 magasins du centre-ville être attaqués et pillés, ainsi que des feux d’artifice tirés vers les policiers, le procureur a décidé d’ouvrir des séances de comparution immédiates au tribunal de Grenoble ce dimanche. Un grand nombre de personnes étaient venus en soutien aux interpellé.es devant le tribunal, avec des boissons et un repas. On a l’habitude de voir des comparutions immédiates les lundis, mercredis et vendredi après-midi, en salle 5 ; pour l’occasion, la salle 4 a été ouverte aussi. Le procureur général et le procureur adjoint, l’un aussi abject que l’autre, sont présents pour enchainer les dossiers.

D’ailleurs on apprend que le dimanche matin, le parquet s’est réuni en amont pour décider de fixer des "peines exemplaires et fermes". Le procureur adjoint révèle les ficelles lors d’une audience en annonçant qu’il a pour consigne de requérir 6 mois ferme avec mandat de dépôt pour toute personne avec casier judiciaire vierge, alors que selon ses convictions personnelles il aurait demandé moins que ça. Il dira même en salle 4 : "vous savez les consignes du parquet, je pourrais partir de la salle, mais ça ne serait pas bien vu par la défense". Quid de l’individualisation des peines ?

Dès le début de la journée, le ton est donné, avec des juges qui s’embrouillent dans les dossiers, se trompent de noms, confondent les faits. C’est dire le peu d’importance accordé aux prévenus qui vont défiler (et attendre) de 10h à plus de minuit au tribunal. Les juges ont déclaré que dans ce même contexte "d’exception", certains prévenus ont poursuivi leur garde à vue au dépôt du tribunal. Ils étaient là depuis minuit, dormant par terre sans matelas ni couverture...

Des audiences de 20 minutes à peine par personne pour : évoquer les faits, faire une défense express par l’avocat qui a eu le dossier le jour même, et entendre la réquisition du procureur. On se fiche de savoir si les personnes comprennent (l’interprète ne traduit pas tout), on les traite ouvertement de menteurs. La plupart des avocat.es décrivent des dossiers d’interpellation vides, des absences de PV (le PV d’interpellation est obligatoire), des enquêtes bâclées, parfois des "fiches de mise à disposition" faisant office de PV, pas signées ou illisibles... Il semblerait que les flics, frustrés d’avoir été débordé.es lors de cette soirée, aient cueilli de façon aléatoire quelques personnes trouvées dans les magasins ou à proximité. Ce sont donc ces prévenu.es qui vont prendre une lourde peine, pour l’exemple.

Des frustrations qui transparaissent aussi dans les violences policières infligées. Une personne sort du tribunal avec un oeil au beurre noir : "ils m’ont tabassé en me chopant", évoquant son interpellation près d’un magasin ce soir là. En GAV (garde à vue), comme tou.te.s les autres blessé.es, il n’a pu voir un médecin qu’au bout de 24h alors que certaines blessures nécessitaient d’aller à l’hôpital. "trop tard pour recoudre, je dois faire des radios". Une autre personne avait le crâne en sang après avoir reçu un coup de matraque d’un flic, et malgré la préconisation du médecin elle a été empéchée de recevoir des soins. D’autres ont des douleurs ou des fractures.

Quelques défenses, trop peu, tiennent un discours politique, évoquant la mort de Nahel comme déclencheur pour avoir commis certains faits reprochés. La justice dépolitise les affaires et pousse plutôt les gens à s’excuser et à parler d’erreur individuelle. Elle instrumentalise le contexte des émeutes alors que l’ambiance en ville était à la solidarité et à une expression de colère commune, cherchant à réprimer les gens et les rendre coupables d’avoir simplement été là. Les avocat.es incitent à accepter les procès, sans prendre le temps de réfléchir à une défense collective : "Non y a pas le choix, ce sera jugé aujourd’hui".

Quelques plaidoiries d’avocates assez véhémentes cependant contre l’instance judiciaire

"La fin ne justifie pas les moyens. L’état d’urgence permet tout et n’importe quoi. On met le code aux oubliettes, on peut dire ’c’est bien on a répondu aux émeutes’ alors qu’on requiert des condamnations sur du vent ! Le centre de la justice, c’est de respecter le droit. Comment voulez-vous qu’une société marche si on s’en absout ?"

"La parole des policiers n’est pas très à la mode en ce moment. Je ne dis pas que l’agent a menti, je dis qu’il a pu se tromper. On n’a que cette simple parole d’un policier qui dit "monsieur pille". Il faut plus de précisions pour condamner quelqu’un à huit mois de prison. Plein de vérifications étaient possibles dans ce dossier, rien n’a été fait !"

A la fin de la journée, alors qu’il n’y avait plus de journalistes sur place et une fois passé l’effet d’annonce retentissant dans les médias "d’exemplarité et de fermeté" par des peines de prison ferme, le tribunal décide de calmer le jeu et de revenir un peu à la raison en plaidant des relaxes pour cause de nullités (ce qui était demandé dans plusieurs défenses), des peines avec sursis ou quelques TIG. Les nullités prononcées prouvent bien aussi la faiblesse des dossiers, les erreurs ou les mensonges des policiers.

De cette journée on ressort avec le sentiment que la justice joue à la loterie avec les gens pour cette grande opération de communication. Quand soulagée, une femme dans le public commence à applaudir en entendant la peine de sursis de son compagnon, la juge la fustige : "ah non, on est dans un tribunal, contrairement aux apparences et à tout ce qu’on peut en dire, on n’est pas dans une salle de spectacle, c’est la vie des gens qui se joue ici !". On n’est pas tellement convaincu par cette phrase, bien au contraire, le tribunal est un spectacle continu qui fait perdurer les oppressions de classe et de race, et déshumanise les gens jugés pour un vol d’une paire de baskets. On se rend bien compte aussi que ce n’est pas un simple vol qui est jugé concernant cette nuit du 30 juin mais une action éminament politique en soi, même si elle n’est pas toujours revendiquée, une rébellion contre l’ordre policier et contre la violence raciste de l’état.

Bilan pour ces 30 comparutions qui ont duré jusque 00h20 : 8 relaxes, 7 DDSE (bracelet électronique), 5 prison ferme avec mandat de dépôt, 2 TIG, 4 prison avec sursis, 2 prison ferme (sans mandat) et 2 renvois pour expertise psy.
Reste donc une vingtaine d’interpellations qui mèneront au pire à des convocations ultérieures, au mieux à des sorties sans suite.

Le lundi, c’est deux affaires de personnes interpellées les nuits suivantes (plus calmes à grenoble) qui passaient en comparution immédiate. On entendait encore les mots "contexte, nuits de violence et d’émeutes", utilisés de ci et de là pour aggraver la peine des prévenus ou au contraire jouer la dissociation entre émeutiers et personnes opportunistes.
Dans la première affaire, un homme a été trouvé dans un bar-tabac ouvert avec des paquets de cigarettes sur lui. Il dit avoir été tabassé par les flics, il a une fracture. La caméra-surveillance du magasin filmant l’intérieur de la boutique et pas l’arrière boutique ou il se trouve, il sera traité de menteur. La proc se sert du "contexte particulier", évoque la "nuit particulière de violence à Grenoble qui a fait la une des médias", où on voit "des gens qui se baladent avec des sacs vides pour faire leurs emplettes." L’avocate rappellera que les 30 personnes passées la veille en comparution immédiates ont toutes pris des peines pour vol ou tentative de vol, et pas de dégradation. "Y a ceux qui sont malins, forts, et il y a les autres". Elle défend qu’il était là "par opportunité" (l’arguement qui reviendra dans plusieurs défenses) et qu’il n’est pas à l’initiative de toutes les émeutes qui ont lieu depuis des jours. Il va prendre 4 mois avec mandat de dépôt.

L’autre affaire, c’est 4 jeunes à peine majeurs qui se sont retrouvés à proximité d’un magasin à côté de Grenoble. Le motif de l’interpellation : ils étaient habillés en noir, le soir, avec des capuches et des sacs à dos... Un peu léger pour leur mettre une inculpation de tentative de vol ? Pas de problème, on leur colle une "association de malfaiteurs" ! Après cette fameuse "nuit de violences", il semble que le simple fait d’être présent le soir dans la rue soit devenu passible de prison.
La défense des 4 avocat.es se rejoint. "une infraction c’est un élément matériel et un élément moral. Or on a aucun des deux !" Le tribunal jugera les 4 jeunes coupables et les condamne à 4 mois de sursis.

Partout en France, la même répression a lieu, la même dépolitisation, les mêmes condamnations. L’état frappe comme il peut. A Lyon, une scène improbable a eu lieu : une personne venue assister aux procès sur laquelle se sont jetés des flics, pour avoir porté un tshirt "Nike - la police". De nombreux soutiens qui criaient pour le libérer, une salle évacuée, la personne qui finit en GAV...

Le nom de Nahel est oublié, on ne parle pas de révolte, de rage contre les violences policières, même si on sait bien que c’est de ça dont il s’agit.

Florilège de remarques racistes et classistes

  • un flic dans la salle vu avec un tatouage de fleur de lys dans le cou
  • "pourquoi vous ne rentrez pas dans votre pays ?"
  • "En deux ans vous n’avez pas amélioré votre niveau de français ? "
  • à une personne sdf addicte à plusieurs substances dont l’alcool (la personnes se décrit elle même comme "zonard et poivrot" :
    - ce genre d’affaire... on va pas dire le nom ici...
    l’avocat avec complaisance : - oui madame la juge, j’utilise le même nom pour ce genre d’affaire mais on ne va dire ça ici" (rires)
  • - pourquoi vous avez arrêté de travaillé ?
    - je touchais que 1200e alors qu’avec ma qualification je pouvais avoir 1700euros
    - quand même 1200e c’est bien !
    - je préfère être au chomage et savoir pourquoi je touche pas grand chose que de travailler pour rien
  • -vous avez arrêté les stupéfiants ?
    - oui
    - vous habitez à st bruno et vous ne consommez plus de stupéfiants ? (rires)
  • le proc : "Monsieur fait exprès de ne plus parler français, c’est écrit dans le PV à l’hotel de police qu’il comprenait très bien. Moi aussi je peux le faire, je peux arrêter de parler français là maintenant !"

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