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De la misère en milieu étudiant (Sur les conditions actuelles de vie et la conscience politique dans la jeunesse étudiante)

Le texte que vous allez lire avait pour fonction d’être diffé dans les AG sur la fac de Grenoble et d’être accompagné d’action concrète pour résoudre les maux qu’il dénonce. Il aurait servi de base à des discussion (sûrement houleuse) au sein du mouvement étudiant sur les retraites et contre la précarisation. Malheureusement, les aléas épidémiques n’ont pas permis de réfléchir à tout cela. Il nous semblait quand même important de le publier pour que peut-être, lors des prochains mouvements, nous puissions discuter et ne pas reproduire toujours les mêmes erreurs.

DE LA MISÈRE EN MILIEU ÉTUDIANT

Sur les conditions actuelles de vie et la conscience politique dans la jeunesse étudiante

« En un temps où une partie croissante de la jeunesse s’affranchit de plus en plus des préjugés moraux et de l’autorité familiale pour entrer au plus tôt dans les relations d’exploitation ouverte, l’étudiant se maintient à tous les niveaux dans une « minorité prolongée », irresponsable et docile. Si sa crise juvénile tardive l’oppose quelque peu à sa famille, il accepte sans mal d’être traité en enfant dans les diverses institutions qui régissent sa vie quotidienne. » [1]

Ils ont rendu la lutte plus insupportable que les cours.

S’il fallait faire un constat des douze années séparant la lutte contre le Contrat Première Embauche (lutte anti-CPE et émeute "des banlieues") avec les poussées grévistes en 2019-2020 contre la loi sur les retraites ou l’augmentation des frais d’inscriptions dans les facs, il serait assez médiocre.
Aucunes augmentations significatives des conditions de vies matérielles et sociales des millions d’étudiants en France. Bien pire, c’est une réelle dégradations de tout ce qui touche tant aux besoins primaires de vie (logements, alimentations, soins, cadre de vie, niveau de vie, débouchées futures…) qu’aux relations sociales entre groupes, classes, « tribu », ainsi que les pratiques émancipatrices, qui reculèrent au fur et à mesure que les échecs des mouvements s’amoncelaient.

Est-ce-à-dire que les luttes étudiantes n’ont servit à rien sinon comme fossoyeur des impulsions de rage et de colère des étudiants et étudiantes pauvres ?
L’enchaînement des mouvements étudiants : CPE, LRU 1, LRU 2, retraite, loi travail, augmentation des frais d’inscription, et encore les retraites, n’ont pas réellement créé un ferment révolutionnaire sur les différents campus. Bien au contraire, ils ont renforcés la résignation chez certaines, et l’aversion à toutes formes de lutte chez celles et ceux qui ne voyaient dans les blocages à répétition (et toujours sur le même mode réclamatif(, qu’une bande d’hurluberlus décongelés de mai 68 venus les empêchés de mener à bien Leurs études, Leur diplôme, Leurs partiels.
C’est que chacun a joué la partie qu’il lui était donné de jouer dans son rôle assigné : syndicalistes à pancartes, anarchistes en sweet à capuche noire, prof syndiqués mais pas trop (pas trop en grève) et étudiants guindés et petit bourgeois. Tous se relayèrent pour faire ce qu’il était convenue de faire et pas plus. Quant a l’étudiant lambda, il étudiait et rien d’autre. Sauf à ronchonner à l’encontre les des piquets de grèves.
Chaque partis/syndicat profitant à son avantage des soubresauts de mécontentement pour mener tambours battants La Lutte en organisant sur le champ AG et comité de mobilisation pendant que les anarchistes eux, prévoyaient une petite occup’ d’amphi. Il n’y a que dans les facs, que l’on peut voir des partis politiques, France Insoumise, NPA, La Jeunesse Communiste etc. faire partie des « inter-orga » et « inter-syndicales ». Cet entrisme dégueulasse, par petits sauts sans y toucher, leurs permirent de recruter en masse tout en pourrissant l’ambiance de lutte (quand il y en avait une) dans des structures à la base réservées aux personnes en lutte se foutant pas mal des prochaines élections.

Le terrain de jeu des universités, propice à la rébellion de régiment (parce que moins de flics et beaucoup d’ « âmes naïves »), permit aux syndicalistes et aux partis d’exercer leur méthodes sur un cheptel près a gober n’importe quel nouveau prophète de la révolution et d’entretenir la forme (la formation) des troupes par des exercices d’éloquences ou de bravoures en AG et en manif. Les bons points furent distribués, la promotion sociale fonctionna à plein régime, la nouvelle aristocratie militante prit ses marques et développa son langage propre. En quelques années
Rien n’était laissé au hasard et la moindre preuve d’auto-organisation collective (occupation sans l’avale de l’AG, prises de trophée, cantine gratuite impromptue, fête dans des locaux administratifs, blocages sauvages, universités autogérée, etc.), était brimée et blâmée par Les voix pour une fois unifiées, des syndicats et des directions de facs. Pour les uns l’auto-formation de groupes luttant et bravant l’interdit relevait d’une « manipulation stalinienne » (c’est le goulag qui se fout de la charité !) et pour les autres c’était des « non-étudiants radicalisés » qui venaient mettre le bordel sur le campus. Il n’y avait pas un militant pour se poser la question du pourquoi il y avait ces soubresauts inopinés de rebellion sur des campus déjà bien aseptisés.
Mais la fête est belle et bien finie.

Pédagogues de la lutte cassez-vous !

A force d’appliquer les mêmes recettes SUR une population estudiantine bien dégoûtée, la sauce ne prend plus. On a vu lors des derniers pseudo-rites démocratiques appelés trompeusement « Assemblée Générale » , les trotskystes du NPA organiser tribunes, tours de paroles, ordre du jour, prises de parole, votes et clôture, dans des amphis à moitiés emplis, emplis de quoi ? de « camarades » ; de quelques anciens étudiants venu voir le spectacles de la décrépitude estudiantine ; et par miracle de-ci de-là de quelques étudiantes et étudiants préoccupées par la loi (laquelle déjà ?) ou les examens qu’ils vont peut-être manquer.
Ils font de la pé-da-go-gie pour ces pauvres imbéciles que nous sommes ! Outres le mépris qu’ils infligent à la plèbe, masses informes du troupeau de « mécontent » qu’ils veulent nous faire jouer, les Futurs Professeurs (et déjà professeurs de la lutte) ont les oreilles bien trop fines pour entendre que ces cris de rage et ces actes de rébellions individuels, marquant infailliblement chaque mouvement, ne sont pas une remise en cause d’une loi mais la remise en cause du principe même de loi. En ce qu’ils étalent leur savoirs, leur verbes, devant des tribunes médusées, ces militants chevronnés participent du principe d’autorité qu’ils se targuent de combattre et rejoignent dans un même front réformiste la cohorte des prof-qui-ne-font-jamais-grève et des cadres administratifs. Tous unis pour faire tourner cette belle machine huilée qu’est l’université. Universalité du mépris !
Quoi ! Ces jeunes gens, mal nourris, bien vêtus et mal logés, n’ayant comme perspective sociale qu’un « emploi » précaire et aléatoire, d’autant plus insupportable que leurs parents et leurs maîtres leur ont laissé croire qu’ils étaient de la race des entrepreneurs et que le vaste monde n’était qu’un amuse-gueule pour leur grand appétit, ces jeunes gens, loin de brandir l’étendard, sinon de la jacquerie, tout au moins de la fronde, n’ont rien d’autre à signifier aux gouvernants qui les bernent qu’une demande budgétaire !

Sortir du manège bien rôdé des agitations, pour rentrer dans des formes de contestation puis de résistance et de combat, demandera à un moment ou un autre de faire la critique de ce qui se joue dans les AG et les réunions politiques. Il va falloir s’arrêter pour discuter et réfléchir, démasquer les imposteurs et les opportunistes et enfin parvenir à créer des situations et des espaces où les formes de luttes impromptues, nouvelles et autonomes puissent s’épanouir.

Vigiland in the laboratory of futur

A la répression syndicale s’ajoute – de manière croissante – la répression administrative sur toutes initiatives qui pourrait avoir l’audace de ne pas suivre les codes de conduite établis dans les universités en mouvement : de ne pas suivre la morgue effilée des étudiants rentrant en cours ou ne pas suivre la morgue effilée des syndicats défilants dans des amphis désinvolte à La cause.
Dans la suite cyclique des moments calmes et moments agités, les campus se sont policiarisés et judiciarisées. Depuis Jospin la fameuse « franchise universitaire », zone franche sans flics accordée aux campus, n’est plus appliquées et les patrouilles de police se baladent allègrement « pour la sécurité et contre le terrorisme ».
Pour l’instant le seul terrorisme qui s’exerce dans les universités, ce sont ces hordes de vigiles, déboulant pendant les mouvements et en somme pas très différents des blacks blocs, matraques et gazeuses en plus, que l’on a vu se multiplier et dont l’apothéose se situe pour l’instant pendant le mouvement contre la Loi Travail. Pendant ce mouvement, les administrations empêchaient blocages et permettaient le déroulement des examens avec des services conjoints d’agents de sécurité et de temps à autre l’appui de la police nationale.
Caméras de vidéo surveillance (pardon « protection »), sas à l’entrée des facs, cartes d’identifications et empreintes palmaires, QG sécurité, etc, on peut dire que les universités ces dernières années se bunkerisent ; les périodes agitées servent surtout d’accélérateur pour la mise en place de dispositifs de surveillances, mais la marche forcée des universités vers l’usine à produire des cerveaux pré-formatés est bien lancée, qu’il y ait mouvement ou pas.
Les mouvements autorisent juste un peu plus de flexibilité dans les comportements, exactions diverses, du côtés manifestants comme du côté administratif. Et l’on a pu voir des vigiles taper, menacer les étudiants et étudiantes et certaines profs perdus dans des bousculades. Et on a pu être témoins de BACeux gazer sans relâche des foules attroupées sur les campus.
La nouvelle offensive néo-libérale, amorcée il y a quelques années par Valérie Pécresse, annonce des temps difficiles pour qui veut continuer ce jeu du chat et de la souris. Les effectifs policiers et les vigiles augmentant constamment dans ces facs en compétition les unes des autres.
Les exilés qui croyaient trouver refuge dans ce Temple du Savoir, ne trouvèrent que dédain bourgeois et contrôles de papier intempestifs. Les quelques luttes autour de l’aide aux migrants telles que les occupations de bâtiments et d’amphi et leurs intégrations en tant qu’étudiants dans les cursus se sont soldés par des échecs. Échecs parce que les administrations récupérèrent le mouvement et firent du cas par cas pour régler « des problèmes jugés administratifs » alors qu’il s’agissait à la base de luttes sociales et de rapports de force : écarter, diviser, dépolitiser.
Dans ces immenses complexes de la capitalisation sur la dépense neuronale, ce sont les start-up, les structures « innovantes », les IDEX et LABEX qui proliférèrent, sans la moindre obstruction militante. Quelques trams bloqués et interruptions de séances pour telles lois ou telles réformes (on sait plus trop), mais à aucun moment il n’y eu de visée à moyen ou long-terme.
Trop occupés à jouer à la révolution permanente, aucunes enquêtes de terrain, aucunes investigations ne fût menée pour décortiquer les rouages de ce merdier capitalo-industriel.
Jeunes entrepreneurs, vieux briscards de l’industrie, géants de l’armement purent en toute impunité investir dans les labo et les instituts, monter des filiales, racheter des brevets, orienter les recherches et les cursus, fomenter dans les CA des facs, sponsoriser des évènements et lâcher du flouse dans les fondations [2].. Et tout cela avec l’appui des lois LRU, des processus européens de libéralisation (Bologne et consort) et l’aval des directions de facs, trop content de pouvoir transformer les universités en machine entrepreneuriale qui rapporte.
La méconnaissance des liens profonds entre les structures universitaires et leurs rapports avec le milieu politique et industriel tant local que national n’est pas une erreur d’appréciation des partis et syndicats étudiants, c’est un manquement délibéré. Ne voulant pas franchement lutter CONTRE le capital, les moyens de production capitaliste, le salariat et la propriété privée, mais POUR s’accaparer une parti du pouvoir forcément lié à ce capital, ils ne grattèrent surtout pas dans cette direction tout en scandant des slogans vénères et rebelles tels que « AH, ANTI-CAPITALISTA » et « l’Université n’est pas une entreprise, le travail n’est pas une marchandise »
...on dirait des anti-phrases de Duchamps lors d’une expo surréaliste.

Il y a encore des choses qui se passent dans les facs

Le milieu étudiant n’est certes plus politisé, mais les conditions présentes font qu’il y demeure, à chaque fois renouvelés, des foyers de contestation. La précarisation croissante de la classe moyenne et le délabrement des services publics font qu’à chaque fois les contradictions du systèmes réémergent, et que, malgré le turn-over estudiantin (en moyenne 4 ans de fac pour un étudiant), des nouvelles mécontentes, de nouveaux élans de combativité poussent de-ci de-là, dans les sections où l’avancée néo-libérale est la plus forte.
Il suffirait de distiller l’esprit d’indépendance envers les syndicats et les partis (comme cela se produisit spontanément chez les Gilets Jaunes), où carrément les chasser des campus en leur rétorquant qu’ils n’ont fait que co-gérer la décrépitude et tuer les luttes pour leur intérêts propres.
Assez, du balai ! Nous n’avons pas besoin de vous, l’auto-organisation et l’action, l’apprentissage en luttant, l’expérimentation, un brin de folie et le dépassement des normes tant universitaires que militantes seront les outils effectifs des luttes. Le reste ressort de la guéguerre politicienne et de stratégie de communication.
Pour qu’un mouvement puisse naître et croître, il faut d’abord que les personnes se parlent, parlent de leur vécu et de leurs aspirations, qu’elles établissent des liens et comprennent qu’il y a une certaine unité dans les conditions d’existences, que les vies sont à peu près similaires dans la misère et donc que le combat dépasse toutes luttes de chapelle et revendications corporatistes. Une fois les liens et les consciences réveillées, sortir de la fac est une priorité, pour, justement ne pas tomber dans de la lutte corpo et complètement petites bourgeoises. Les conditions d’existences des jeunes et des retraités des classes pauvres et moyennes inférieures sont a peut à peu près similaire en France, ces deux catégories sont dites « inactives » dans le sens que leurs vies ne sont pas ou plus prises dans l’engrenage de l’employabilité. Bien sûr cela est en train de changer, de plus en plus d’étudiants et de retraitées travail en complément des pensions et aides de l’État dans les fameux « bullshit job » à contrats élastiques. Le CPE a beau avoir été abrogé, la coalition du capital et du politique arrivent toujours à nous extorquer de la force de travail à moindre prix. Mais il reste des marges de manœuvre et les conditions d’existences des étudiants ( et des lycéens !) sont des fois assurées par les parents, les pensions, le RSA et les revenues subsidiaires. Ce temps peut donc servir à s’organiser, à créer des structures indépendantes, à se parler dans universités où de plus en plus la non-communication et la méfiance sont de mise. Sortir des ornières de la « réussite » (réussite de quoi ? d’entuber ton prochain ?) et de la compétition, arrêter avec ce truc élitiste et discuter sans mépris avec d’autres étudiants qui n’ont pas forcément le même bagage culturel ni eu le même mode de vie, permettra de trouver des points d’achoppement et de tisser des réseaux. Enfin, si nous voulons qu’ il y ai dans les facs, à nouveau quelque chose qui ressemble à une subversion d’ampleur, il va falloir sortir de la zone de confort et des routines militantes de base. Mettre un pied de nez à démolir les conventions que les VPE et les pontes de la fac connaissent trop bien (ils et elles ont été souvent gauchistes dans leurs jeunesses). Le mouvement des Gilets Jaunes peut être à ce titre, une source d’inspiration.
Aujourd’hui, la population des facs, à trop vouloir être prise au sérieux, dans les carcans du politiquement correct, a perdu de la fougue et ce qui faisait qu’on ne savait jamais où « ça » allé partir. Aujourd’hui TOUT EST PRÉVISIBLE.

Hiver 2019-2020

Notes

[1« De la misère en milieu étudiant, considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier » Association Fédérative Générale des Étudiants de Strasbourg, 1966.

[2Par exemple , allez vous renseigner sur la Fondation UGA, qui brasse beaucoup d’argent et dont les partenaires sont les grosses boîtes de la région

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