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Alors, on te voit plus aux soirées ? Pour une santé communautaire.

Très cher-e camarade,

Je t’écris pour te faire part d’un malaise grandissant. Ce qui nous réunissait dans l’action militante, nos modes d’organisation et nos espaces, m’apparaît comme étranger.

Bien sûr, tout s’est arrêté net lors du premier confinement. Avions-nous le choix ? Le redémarrage a été brutal, et a marqué le début de mon éloignement. Je me souviens… avoir été l’un des seuls à porter un masque lors de nos réunions ; des ricanements en posant la question sanitaire pour l’organisation de notre soirée de soutien ; de l’étonnement sur mon absence aux manifs anti-pass ; ou encore de ma supposée « non-inclusivité » lorsque j’ai suggéré que nous ne devrions pas nous organiser en fonction des demandes des camarades non vacciné-e-s…

Je considère que nous ne construisons plus rien de commun. Pourquoi ce désaccord ?

Comme toi, je ne sais pas d’où vient ce virus. Et, d’ailleurs, quelle importance ? Il existe et il tue. Bien qu’organisme naturel, le virus sous sa forme de pandémie reflète la structure du monde dans lequel on vit. Sa vitesse de propagation s’appuie sur les flux de voyageurs et de marchandises. Son impact sur l’hôpital est d’autant plus fort que celui-ci a été méthodiquement démoli par les politiques d’austérité. Quant à ses victimes, la sur-mortalité dans les classes les plus basses confirme qu’il ne fait pas bon d’être pauvre.

Parce que la forme pandémie n’est pas simplement naturelle, mais fortement impactée par l’organisation sociale, je m’oppose à toute méthode qui consisterait à « laisser faire la nature », à « faire confiance à son corps » et « booster son immunité naturelle ». Pire encore, l’idée qu’« il faut bien mourir de quelque chose ». L’immunité naturelle et collective, pour autant qu’elle soit atteignable (ce qui n’est pas certain), a un coût humain. Et, ce coût humain est d’abord payé par les plus fragiles (que ce soit une fragilité naturelle ou créée par le monde dans lequel on vit), ce qui n’est rien d’autre qu’un nouvel eugénisme dégueulasse.

Je dois t’avouer que j’ai été effaré de la porosité de nos milieux aux discours niant la dangerosité du virus et aux scientifiques "alternatifs" (pour ne pas dire escrocs). Pourtant, tu sais à quel point je suis sensible à un certain nombre d’arguments techno-critiques ou anti-industriels… Mais, dans le champ étroit du médical et de la lutte contre le virus (traitements, vaccins, moyens de prévention), qui d’autre que les experts ? Questionner ces experts, c’est par exemple les interpeller sur les mystérieux « covid longs », construire des groupes patient-e-s/médecins, plutôt que leur opposer des chiffres manipulés ou des scientifiques alternatifs (eux aussi en blouse blanche et poursuivant également un business personnel très lucratif…). Quant à nous, quelques séances d’éducation populaire sur la thématique de l’immunité nous seraient sans doute fortement bénéfiques !!

Voilà donc pourquoi je fais la promotion du port du masque et de la ventilation régulière, notamment de nos espaces militants… et pourquoi je les déserte lorsque ces mesures sont moquées (trop souvent) ! Ces mesures sont les plus simples et les plus low-tech qui soient pour contrer un virus qui se propage avant tout dans l’air. Cerise sur le gâteau : appuyer les revendications pour la gratuité des masques (chirurgicaux et FFP2), pour tou-te-s (pas que les travailleureuses au frais du patron).

Je pense aussi que le vaccin est nécessaire mais non suffisant. Que nos milieux (toi y compris) soient ambigus, voire carrément anti-vaccins, est un naufrage. Le vaccin est nécessaire, car il réduit les formes graves et le risque d’hospitalisation (avec un nombre faible d’effets secondaires graves). Il est insuffisant, car il n’annule pas la nécessité des autres mesures (masque, ventilation).

L’État, qui fait du vaccin son unique stratégie, sans agir sur les masques et la ventilation, en a une utilisation très technophile et adéquate à la stratégie de la classe capitaliste. Celle-ci vise avant tout à faire décroître la charge hospitalière à un niveau acceptable pour que l’on retourne au travail (ce qui ne signifie pas que les plus fragiles ne continueront pas de mourir). Cette stratégie multiplie également le nombre de doses en France, au mépris des pays les plus pauvres qui dépendent de la solidarité internationale pour vacciner leur population. L’accès à la vaccination pour tou-te-s (la gratuité n’est pas une mesure suffisante) devrait faire partie de nos revendications communes, pas le refus de la vaccination !

La stratégie vaccinale de l’État crée naturellement un bouc-émissaire idéal, le non-vacciné. On suppose que s’ille meurt, c’est bien fait pour lui. Une petite musique commence d’ailleurs à se faire entendre (chez les soignant-e-s, mais pas que) : pourquoi continuer à soigner les non-vacciné-e-s ? Voilà encore un discours bien dégueulasse, mettant au centre la responsabilité individuelle devant la maladie. À quand l’arrêt des soins de cancers des fumeurs... ? Il est donc essentiel de tenir bon par les deux bouts : promotion de la vaccination et soins pour tou-te-s.

L’idée de soin pour tou-te-s soulève la question de l’état déplorable de l’hôpital public. Ça ne date pas d’hier… La revendication de créer des lits et d’embaucher du personnel est bien trop souvent la seule audible. Néanmoins, si elle venait à être satisfaite, elle demanderait du temps (formation des personnels). Par ailleurs, l’épidémie n’est pas qu’une question de lits : il n’y a rien de positif à se retrouver sous oxygène ou en réanimation, ce n’est souhaitable pour personne.

Dernière arme anti-virus, l’isolement en cas de maladie ou contact avec des malades et la fermeture des lieux concentrant trop de contaminations. Je ne pensais pas en faire un jour une revendication… Pourtant, l’actualité très récente montre que, devant le variant omicron (très contagieux), le gouvernement réfléchit à changer les règles d’isolement. Ici, les masques tombent : il s’agit clairement d’une mesure économique (pour « préserver le fonctionnement de la société »). En caricaturant (un tout petit peu), ce n’est ni plus ni moins qu’une disparition de l’arrêt maladie ! Sans mouvement de grève, nous serons condamné-e-s à aller nous contaminer au travail, et donc à contaminer les autres… (en cas de mesures efficaces, nous serions condamné-e-s au travail, autre forme de mort, me diras-tu).
Dans nos espaces militants, nous pouvons néanmoins fermer nos lieux et limiter certains événements en cas de forte propagation du virus. La fête n’en sera que plus folle ensuite !

Je suis donc pro-masque, pro-ventilation, et pro-vaccin tant qu’il le faudra. Un objectif : à notre échelle, la santé communautaire, l’auto-défense sanitaire. Je m’oppose à la gestion capitaliste qui n’a qu’une seule stratégie (le vaccin) pour un seul objectif : faire tourner l’économie avec un nombre de morts acceptables (invisibles). Je considère que les ambiguïtés de nos espaces militants et de nos organisations sur ces sujets mettent en danger des camarades de lutte (et autres), et interrogent sur le monde commun que nous pourrions construire ensemble. Ma boussole politique ne consiste ni à prendre à contre-pied le gouvernement de façon automatique, ni à ériger comme « liberté » le mode de vie du capital. Tu comprendras donc pourquoi je n’arrive plus à m’organiser avec toi.

Bien à toi,

Toma

PS : parmi les espaces que je fréquente encore merci à la Parole Errante à Montreuil pour son rappel systématique de la politique du lieu (réduction des risques et port du masque). Une pensée aussi pour les brigades solidaires.

Crédit photo : ValK (https://www.flickr.com/photos/valkphotos)

Voir aussi :
https://paris-luttes.info/personne-ne-doit-etre-oublie-ni-15576
https://diacritik.com/2021/10/05/valerie-gerard-ce-mouvement-anti-pass-ne-construit-rien-de-commun-mais-prone-la-destruction-de-toute-communaute-tracer-des-lignes/
https://paris-luttes.info/anticovid-tu-perds-ton-sang-froid-15475?lang=fr

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